S’immisçant dans les contrées de la science-fiction, la cinéaste radicalise de nouveau son cinéma, pour nous présenter un film d’une autre espèce. Une œuvre hybride où la contemplation d’un environnement dégénératif côtoie les saillies viscérales de corps décharnés par les expériences. Difficilement classable, High Life pourrait rapidement déconcerter les néophytes de la cinéaste.
Dans une époque, lointaine ou pas si lointaine que cela, le gouvernement se sert de personnes condamnées à mort pour les envoyer dans l’espace s’affranchir de missions qui pourraient changer la phase du monde. Nous n’en savons pas plus, la réalisatrice, avec son épure habituelle, laisse place à l’imagination ou à l’interprétation de son spectateur. Ces missions-là, dans la trame narrative de High Life, seront très rapidement plus ou moins éludées pour laisser place au savoir faire visuel de la réalisatrice et mettre en perspective des thématiques qui lui sont propres : la représentation du corps et le désir dans sa marginalité.
Nous ne sommes pas dans First Man, Seul sur Mars ou dans Interstellar : l’espace et la science-fiction ne sont qu’un contexte, un décorum minimaliste, à la direction artistique proche des 80’s, qui accentue ce sentiment de solitude et qui sert de huis clos à la folie progressive des personnages. Un lieu au souffle court, qui capte parfaitement les idées d’apesanteur de Claire Denis avec ces silences lancinants et à faire ressentir le vide. Sans le montrer de manière grandiloquente, elle s’interroge grâce au futur sur l’humain de maintenant et son rapport à la technologie.
Cependant, le film déconcerte dès le départ : même habitué au style de Claire Denis avec sa mise en scène contemplative et son rythme anémique, il est parfois difficile de se confronter aux premières minutes belles mais déjà pessimistes de ce film qui voit Robert Pattinson, seul avec sa fille, dans une station où ils essayent de survivre dans un quotidien bien morne. Puis par l’idée du montage, High Life rebrousse chemin pour nous expliquer ce qu’il s’est passé en amont, avec des résonances floues, sanguinolentes et commence tout doucement à prendre son envol. On voit quelques bribes de passé sur la terre ferme des condamnés à mort et la raison pour laquelle ils ont été sur cette station : des rebuts de la société, envoyés comme de la chair à canon dans l’espace.
Le terme est intéressant, car dans cette station, ces hommes et femmes ne seront vus que comme des corps jetables, suivant le cycle de recyclage de leurs semences et seront considérés comme des enveloppes à reproduire. Ce malaxage esthétique de la chair, cette récupération des fluides, notamment le sperme, voit Claire Denis et son scénariste Jean Pol Fargeau s’intéresser sur la connexion humaine, sa relativité et l’ambivalence de la reproductibilité et le désir. Ce parti pris est caractérisé notamment par le médecin, incarné par une Juliette Binoche habitée, qui cohorte toute cette troupe de vagabonds. Médecin ou plutôt sorcière chamanique aux longs cheveux noirs, qui s’octroie le droit de vie sur ses congénères, est presque l’épicentre même du film.
C’est à travers ce personnage que toute la sève de l’œuvre prend forme : il est impossible de ne pas parler de cette fantastique scène dans la « box du sexe » où Juliette Binoche s’adonne à des plaisirs personnels. Scène organique, sensorielle au possible, qui se rapproche de l’esthétique d’un Philippe Grandrieux où l’on voit les stigmates subis par son corps et où l’on comprend toutes ses motivations sur la natalité.
High Life, se rapproche plus d’un Trouble Every Day (le désir et l’humain comme tabous) ou d’un Les salauds (la violence faite aux femmes) plutôt que sa dernière incartade dans la comédie qu’est Un beau soleil intérieur : antipathique, froid, violent et cynique au plus au point, cette odyssée spatiale au rythme délétère, pourrait en laisser plus d’un sur le carreau, tant l’épure est le maitre mot d’un film qui prend des allures de survival aliéné aux multiples visions cauchemardesques.
C’est un film de Claire Denis dans le texte où elle s’amuse et prend un malin plaisir à faire déambuler sa caméra dans des couloirs bleutés ou rougeâtres, aime faire réfléchir les regards pour se faire éclater la déviance de ses personnages, et épuise au maximum le rythme de son film pour iconiser le surgissement de la violence.
Article original pour LeMagduciné.fr