Que cela soit dans son montage adroit, ou par cette voix off pudique et ludique que l’on suit avec douceur, Histoire d’un regard de Mariana Otero est un grand film sur le monde et sa folie, une oeuvre dont l’étude arrive à rendre vivante la forme graphique de l’art photographique.


Mariana Otero reçoit un colis. Dans ce paquet, se trouve la biographie de Gilles Caron, grand reporter de guerre disparu au Cambodge en 1970. De là commence alors une introspection, une interrogation curieuse et passionnée à propos d’un passé et d’une carrière protéiforme. Mais c’est surtout le début d’une investigation. En rassemblant autour d’elle les milliers de clichés pris par le photographe, elle nous narre un récit émouvant sur la naissance d’un regard et la matérialisation d’une vocation. Le documentaire fabriqué par Mariana Otero n’est pas un simple roman photo ayant pour objectif de rendre hommage à Gilles Caron et son immense talent à photographier le monde.


Histoire d’un regard est plus complexe, plus vertigineux et méticuleux dans son approche, sans forcément être exhaustif. Devant nous, Mariana Otero étudie le protocole de Gilles Caron pour trouver la bonne photo, sa capacité à se mettre au bon endroit, et reconstruit peu à peu la linéarité des Polaroïds pour déceler la vie et le cheminement qui se cachent derrière l’instantané. Comme si une mosaïque de photos devenait les synapses d’une pensée et se muait en représentation mémorielle d’un homme et sa fascination exacerbée pour l’humain, loin de l’approche moderniste et cynique made in Instragram qui sévit de nos jours. Derrière chaque photo, chaque instant pris par le biais d’un objectif, de son objectif, se cachent une histoire et une interprétation. Il y a presque du Chris Marker dans Histoire d’un regard.


Dès les premières minutes du documentaire, l’une des filles de Gilles Caron nous explique que personne ne sait comment est disparu son père. C’est un mystère, un livre qui s’est achevé sans son dernier chapitre, un trou béant dans le scénario de la vie de ce photographe qui n’avait pas peur de se frotter au pire de l’humanité pour en faire parfois resurgir le peu qu’il en reste. Au fil de l’étude, qui suit les traces d’une enquête détaillée et mûrement documentée, dans laquelle on se croirait presque dans un film de David Fincher version Zodiac et Millenium, Histoire d’un regard dévoile son ampleur. Nous l’avons déjà dit : Histoire d’un regard n’est pas qu’une unique galerie de photos qu’on pourrait observer et scruter comme si nous étions dans un musée.


Mariana Otero se sert de ce focus pour nous questionner sur notre regard, notre émotion en tant que spectateur et sur notre position par rapport à l’actualité et l’état d’un monde qui ne cesse de répéter ses atrocités. De guerre en conflits, Gilles Caron a photographié les plus beaux instants de révoltes, quitte à en faire des étendards d’un mouvement, mais aussi a pris sur pellicule les pires atrocités que l’humain ait pu connaitre (la famine au Biafra). C’est alors que le documentaire met en exergue que le photographe fait malheureusement (ou heureusement) partie intégrante du décor, autant dénonciateur que « complice ».


Cependant, et c’est la grande force de Mariana Otero, au lieu de construire son documentaire comme une hagiographie péremptoire et acquise à son sujet, elle ne cesse d’étudier avec respect, d’analyser avec humilité, de recontextualiser l’importance de la photo, de comprendre la beauté de l’existence d’une telle carrière, de saisir les nuances d’une mémoire dont les seuls souvenirs se trouvent sur pellicule. C’est une sorte de biopic, sans en être un, qui retranscrit les moments d’une vie par le biais des meurtrissures ou des sourires du monde.


Article original sur LeMagduciné

Velvetman
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le 1 févr. 2020

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