Replacé dans son contexte, "Detective Story" prend très probablement toute son importance en jetant un pavé dans la marre d'un certain puritanisme (tendance anti-IVG, en l'occurrence) caractéristique de cette période 40s-50s aux États-Unis. Certes, à grands tabous, grands moyens. Vu d'aujourd'hui, le scénario reste à mon sens un brin trop didactique, et même en étant relativement friand de ce genre de film noir, l'évolution psychologique du personne interprété par Kirk Douglas paraît vraiment artificielle. L'explosion de sa vie privée dans sa vie professionnelle, toutes deux reliées par le thème de l'avortement, produit un effet un peu trop programmatique pour délivrer toute la puissance de son contenu en bonne et due forme. Mais le lascar ne perd rien de son charisme, et il lui suffit de porter une paire de lunettes pour en faire un inspecteur de police aux accès de colère très convaincants.
L'arrière-plan reste toutefois très intéressant et facilement appréciable, dans le sens où Wyler insuffle à travers cette detective story une nouvelle direction au film noir du début des années 50 (à confirmer par un expert). Finis les extérieurs glauques ou menaçants des ruelles sombres et mal famées, voici venu le temps de l'intérieur des bureaux de police et de leur quotidien, dans une description qui s'apparentait probablement à un style documentaire. En l'état, ça ressemble presque à du théâtre. Cela étant dit, la sueur sur les visages et sur les chemises des enquêteurs comme des malfrats se fait rapidement palpable. L'atmosphère devient de plus en plus pesante, avec toutes ces affaires et ces criminels de rangs multiples qui s'entrecroisent dans les 50 m² de l'espace principal, filmés dans des cadres très serrés et dont la caméra ne sortira qu'à de très rares occasions. Ce n'est pas du théâtre filmé, mais les trois unités qui sont grossièrement respectées y font clairement penser.
Le thème de l'avortement est abordé de front dans la dernière partie du film, et c'est sans doute là que le film a perdu de son efficacité (mais pas de sa pertinence) pour un regard moderne : le climax atteint lors de la révélation centrale de l'intrigue ne brise pas le même tabou aujourd'hui (et encore : on aurait tendance à oublier que ces droits ne sont pas acquis ad vitam æternam). Le final paraît par contre totalement désuet — et artificiel, mais il ne détonne pas en cela avec le reste du film, diront les plus mesquins d'entre nous —, à grand renfort d'héroïsme et de piété un peu rances, dans un dernier mouvement relativement ridicule de la part de Kirk Douglas. Mais on lui pardonnerait tout, ce bougre.
(*Référence au film d'Alexander Payne, "Citizen Ruth", qui traite également le thème de l'avortement, mais sous un angle comique radicalement différent.)
[AB #176]