J'ai entendu un cinéaste français dire que pour lui, Tenchu (ou Hitokiri, les deux titres coexistent) était le shambara ultime. Je l'ai donc regardé, par curiosité. Pour découvrir qu'il faisait 2 h 20...
Le bakumatsu. Okada Izo est un samouraï désargenté de Toza. Dans un contexte de guerre entre le shogunat et l'empereur, un seigneur de Kyoto, Takechi, vient l'engager pour défendre l'empereur. En réalité, Takechi est un opportuniste, qui utilise Izo pour faire le ménage et monter en puissance. Mais Izo est une brute avinée, qui ne comprend pas ce qui se passe, malgré les mises en garde d'un ami, Sakamoto, assimilé à un traître. Izo passe son temps avec une prostituée, Omino, tout en fantasmant sur la fille de Takechi. Mais ses meurtres à répétition le rendent compromettant pour Takechi, qui le tient à l'écart d'un raid. Izo l'apprend et participe à l'expédition en criant partout son nom. Il tue aussi un homme, sur les conseils de Sakamoto, ce qui froisse Takechi.
Réalisant qu'il est utilisé comme un pion, Izo tente de couper les ponts, mais aucun autre seigneur n'ose l'enrôler, par peur de Takechi, entretemps devenu très puissant. A court d'argent, Izo sombre dans l'alcool, et le chef des gardes de Takechi, Shimbei, par compassion, paie son ardoise. Izo revient la queue entre les jambes chez Takechi, qui le reprend à condition qu'il tue son principal allié, Anenokoji, en laissant sur place le sabre de Shimbei. Incriminé, celui-ci se suicide. Quant à Izo, il fait du scandale et est arrêté par la brigade municipale, et lorsqu'il donne son nom, Takechi est convoqué mais refuse de le reconnaître. Izo est marqué au fer rouge comme un vagabond. Reniant jusqu'à son ancien nom, il va se livrer aux autorités pour confesser ses crimes, faits sur ordre de Takechi, en échange de 30 ryos qui serviront à payer la dette d'Omino la prostituée. Il est crucifié alors que Takechi est condamné à se faire seppuku. Le film se clôt sur son visage crucifié.
Bon, ce film est intéressant, car il parle d'un homme qui se fait utiliser comme le plus ignoble des hommes de main, et qui contre toute attente, ne prend pas la décision de tuer le grand méchant de sa main. Dieu sait pourtant que dans la manière dont l'histoire se développe, on a tous les ingrédients d'un bon film de vengeance à la Steven Seagall.
J'aurais sans doute bien plus apprécié ce film si je n'étais pas en train de faire une rétrospective Mizoguchi. Car en comparaison du style élégant, raffiné et poétique du vieux maître, Dieu sait que celui d'Hideo Gosha, pour si créatif qu'il soit, fait un brin racoleur.
Dès le générique, le programme est donné : une musique ironiquement gaie sur des images de tête coupée, de cadavre, de chien errant.
La violence esthétisée (mais pas pour autant cathartique, c'est un point positif). Les trucages sont un peu visibles (arbre découpé, sang qui dégouline sous la pluie, cadavre avec giclées de sang...). Il y a de beaux effets visuels : le vol d'un éventail ; les gouttes de pluie sur des tuiles bleues vernies, un cadavre dans une rigole laissant une trainée rouge, l'autre moitié étant noire d'encre (c'est de nuit) ; des filtres colorés assez pop dans le cauchemar où Izo revoit tous ceux qu'il a tués. Les décors sont variés : pont de bois, cabane au bord de la mer, enceinte de la ville (avec une belle profondeur de champ), champs d'herbe, mais l'essentiel de l'action se passe entre les rues, le bordel et le palais de Takechi.
A cette esthétique aux couleurs déjà seventies s'ajoute le jeu d'acteur de Shintaro Katsu, égal à lui-même en brute avinée, hirsute, crasseuse, bestiale (il se fait surnommer "kedamono"), touchante de bêtise. La caméra ne rate aucun gros plan sur ses expressions faciales très réussies, quoiqu'un peu étirée. Il y a aussi cette scène folle où Izo apprend par hasard qu'il a été maintenu à l'écart d'un raid, sort en pagne mal ficelé, court comme un fou sur une musique à la Morriccone, arrive sur le théâtre du combat, se verse plusieurs seaux sur la tête pour se rafraîchir puis se lance dans le combat en hurlant son nom.
Alors, Tenchu est-il le shambara ultime ? Pas pour moi, je l'ai trouvé long, et il y a ce problème que le contexte politique nous est tellement inconnu qu'on a l'impression de voir Izo se faire confier une succession de noms de gens à tuer, que ces noms devraient évoquer des choses en nous, alors que non, ce qui est frustrant. Et puis l'argument du film est suffisamment limpide pour que l'étirement sur 2 h 30 me semble assez injustifié. Il reste que la question morale posée par le film est intéressante, mais son traitement un peu discutable. Je n'ai rien contre l'esthétique baroque, mais là, un peu plus de dépouillement aurait été bienvenu.