"Et il s'en fut chasser les démons"
Ce film est ma première incursion dans le monde de Bruno Dumont. Et ce ne sera sûrement pas la dernière.
Le constat le plus évident, c'est que Dumont ne cherche pas la facilité. Et qu'il faut être un peu maso pour voir ses films, tant on se prend de baffes pendant le visionnage.
Des baffes visuelles d'abord. Le film est magnifique. Les plans d'ensemble, en particulier, sont superbes. On y voit une nature superbe et forte. Une nature qui englobe les personnages, réduits à l'état d'êtres minuscules dans un décor aussi grandiose.
Les personnages sont les objets de la nature. Ils semblent en être issus : le visage rugueux de l"homme, ses gestes, ses prières, la façon qu'il a de se baigner dans la lumière du soleil, le vent qui masque ses propos, tout montre une communion avec la nature environnante. Y compris cet oiseau qui fait quelques apparitions au loin et avec lequel il paraît communiquer...
Des baffes aussi parce que le film n'est pas agréable à voir. Puisqu'il ne s'y passe qu'assez peu de choses, chaque événement prend une importance monumentale. Et ces actes sont avant tout violents. d'autant plus violents qu'ils sont inexplicables (et demeurent inexpliqués).
Et c'est là une des grandes forces du film. Ne pas donner d'explication. Présenter les faits de façon brute en intervenant le moins possible. Au risque de perdre des spectateurs peu habitués à ce type de procédé. Mais c'est là qu'il fait preuve de la plus grande intelligence : rien de plus déconcertant que ce qui demeure inexpliqué.
Car que se passe-t-il dans ce film ? Un homme (on ne connaîtra jamais son nom), un vagabond, vit en bordure d'un minuscule village. On le voit prier, puis il rejoint une jeune femme, prend son fusil et tue un homme dans une ferme voisine. Un meurtre ? Une libération pour la jeune femme, qu'on devine victime sexuelle de la personne tuée. Assassin ou libérateur ?
C'est à chacun de se faire une idée. Le personnage reste constamment ambigu, tout comme le film. Pour s'en assurer, il faut voir cette scène avec la randonneuse : on croit qu'il la tue mais finalement elle plonge dans l'eau pour une sorte de renaissance spirituelle.
Les références religieuses sont foison. Essentiellement aux Évangiles, traçant un parallèle entre l'homme et le Christ. La jeune femme fait indubitablement penser à Marie-Madeleine ; il exorcise une fillette ; il ressuscite quelqu'un ; il incite même la jeune femme à marcher sur l'eau (en une scène splendide, qui m'a fait penser à Nostalghia, de Tarkovki). L'oiseau qu'on entend au loin, sans jamais le voir distinctement, nous rappelle que le Saint-Esprit prend la forme d'une colombe. Et l'arrestation de l'homme renforce encore son aspect christique.
Mais, d'un autre côté, certains de ses actes sont clairement anti-christiques : il tue, il tabasse, et il paraît plus en adoration devant la nature que devant Dieu, en une sorte de rituel païen.
Un film dérangeant, lent, quasi muet (et les rares paroles prononcées sont parfois inintelligibles ; mais ce ne sont pas les mots qui importent, ce sont les corps, les regards), lumineux, profondément charnel et intensément spirituel à la fois. Un film qui n'a pas peur des paradoxes. Un mystère et un véritable poème esthétique.