Retour à la terre
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le 14 mars 2018
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Le réalisateur des Brasiers de la colère et de Crazy Heart est donc spécialisé dans les drames virils et poignants (ou au moins sérieux, pas gonflés par des tours de scénario ou de mise en scène). Son western Hostiles est sans bavures ni excès. Ce qui prend place n'est pas nécessairement brillant pour autant, mais les spectateurs ne sont pas tenus pour des veaux. On ne leur réserve pas de surprises, ne recycle pas les manières et les détours trop voyants ou à la mode. Le résultat n'est pas niais sur le fond et pompeux sur la forme comme The Revenant (ou de manière plus sereine), c'est une balade linéaire donnant l'occasion d'expier la haine légitime de colonisateurs et de colonisés.
Hostiles a au moins une vertu : avec un minimum d'efforts (aucune originalité, scénario simplet) et d'effets, il se positionne fortement et donne à parler (moins à analyser, car cela reviendra vite à pinailler ou à expliciter à perte – il y a plutôt matière à discourir, y voir et grossir ce que l'on préfère). Le film opère un tour excellent : il est évident à percer mais prend bien soin d'exacerber discrètement chacune de ses propositions (dopant en apparence des dialogues et tensions rebattues). John Ford a ressuscité et fait dans l'épuré. Le récit collectif, orienté valeurs, peut toucher – et alors tout le déroulement est plaisant, on goûte sa dignité, son intégrité. Si ce charme ne s'exerce pas, la pression émotionnelle redescend radicalement. Car le film joue sur une gamme : la souffrance – avec toujours de la dignité et souvent un peu de chaleur.
Avec l'élan vers la réconciliation, cela fait une gamme et demi. Le jeu est précis et se corrompt le moins possible avec l'individualité ou la subjectivité. Hostiles voit les choses d'en haut, prend un ensemble, admire et invite à se recueillir ; il ne veut pas connaître ses sujets ni surtout trop les tourmenter. Ils ont déjà tellement à porter ! Bifurquer reviendrait à les offenser. Cela donne des personnages statiques – assortis au tout-linéaire. En deux heures ils ne se prennent rien de neuf (sauf la femme, près de la démence ou de la furie – ce caractère prometteur sera vite noyé lui aussi). Le seul changement concerne les relations entre convoyés et convoyeurs : elles s'adoucissent. Les deux camps sympathisent, unis dans leurs malheurs malgré l'illusion d'une opposition. Tout ça pour, quand même, en rester au 'dog-eat-dog', sans distinction, y compris face à ceux qui nous ressemblent. Le capitaine Blocker et ses hommes se savent donc pourris comme les ennemis officieux, pas tant par nature, plutôt car cette terre et l'Histoire en route sont maudites.
Comme les autres finalement, les plus optimistes et les plus critiques, Hostiles est venu nous démontrer que les États-Unis sont un pays terrible, fixé par son passé funeste. En dernière instance il sera toujours accablé par les égoïstes crispés et les fous de la gâchette – factuellement cela donne une séquence (pré-finale) grotesque avec un péquenaud défendant sa propriété et rejetant la force positive et pacificatrice du gouvernement (un de ces récalcitrants primitifs qu'on regrettait dans Liberty Valence). Enfin Hostiles est un film non-manichéen alors ce péquenaud est quand même courtois, d'ailleurs c'est Hershell de Walking Dead. Tous les autochtones ont vocation à être chahutés voire délogés, car il y a une innocence à se situer dans l'espace, dans le temps, dans un programme ou des rites et pour longtemps. De sentiment, de naissance ou même de souche, les autochtones s'attacheraient en vain, en tout cas aux alentours de cette route traversant le cœur de l'Amérique du nord. C'est pour ça que le film est meilleur à représenter l'usure des hommes : on s'habitue aux choses, les pénibles le restent, mais la douleur n'est pas si vive, elle s'étale, enlace tout. L''arrêt' produit par un traumatisme, une blessure irréparable, ou la conscience de limites définitives, est comparable au vieillissement.
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Créée
le 20 avr. 2018
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