Hôtel Chevalier par Philistine
Les hôtels sont des lieux fascinants, quel que soit leur niveau de classe. C'est toujours incroyable de découvrir sa chambre, parce que quelqu'un d'autre l'a conçue pour soi. Une fois, j'ai eu une télécommande dans un étui en cuir, et qu'est-ce que c'était touchant de penser que quelqu'un s'était imaginé vivre dans cette chambre et s'était dit : « décidément, cet objet est laid, il va falloir le cacher pour qu'il n'agresse pas le bord de la rétine des clients quand ils le poseront sur la table de nuit. »
Dans un hôtel, on est du coup constamment provoqué, par l'existence de chaque objet ; il faut s'affirmer, s'adapter ; on est en interaction perpétuelle avec les actants invisibles de la chambre, du designer à la femme de ménage. En interaction comme dans une relation sociale : l'hôtel et soi. Et quelle idée géniale, de la part de Wes Anderson, d'associer ce lieu hybride, qui malgré le confort qu'il peut générer, n'est jamais acquis, à une relation amoureuse trouble !
Au lieu d'essayer de faire de son court-métrage une histoire courte, le cinéaste prend le parti de raconter, au travers de cette ambiance géniale d'hôtel, une situation de vie bien précise : celle où, n'ayant pas vu quelqu'un que l'on connaissait bien depuis longtemps, on doit parvenir à retrouver la même intimité qu'auparavant, bien que l'on se sente mal à l'aise. Le film dépeint la sortie de ce malaise-là. Tout le monde sait que les deux personnages vont coucher ensemble, ils l'ont déjà fait et ils se plaisent, mais si tout était si simple, la vie ne vaudrait pas d'être vécue.
Tous les détails, dans ce court-métrage, sont parfaits. On le sent dès la première image : un lobby d'hôtel, empli de cette musique insipide et paisible qu'on ne trouve que dans les hôtels et les ascenseurs, recouverte occasionnellement par un téléphone qui sonne sourdement et un clapotis de clavier.
Dans une chambre, le personnage masculin est en plein caprice typique d'hôtel. La télévision allumée inutilement en mode « mute », il téléphone pour avoir du « lait au chocolat » et de la « soupe d'oignon », association bien hasardeuse... On voit traîner dans le fond de l'image le plateau de son dernier room-service qu'il aura eu la flemme de sortir. Tout est un peu trop assorti, dans cette chambre jaune et blanc cassé, mais c'est le genre de confort que l'on trouve à l'hôtel, être allongé son son lit dans un peignoir qui se fond avec le décor. Le personnage sait jouir de cette harmonie, et on sent qu'il a organisé toute sa soirée à moins d'une longueur de bras autour de lui, pour être bien certain de ne pas avoir à se lever pour rien : posés sur le lit, carnet et stylo, livres, journal, et puis sur la table de nuit, ce téléphone qui est le confort ultime de l'hôtel puisqu'il sert d'aimant, peut tout apporter à soi. Tout, oui, même une ex.
La scène des retrouvailles est exceptionnelle. D'abord un plan de plus de dix secondes sur le personnage masculin, beaucoup trop propre, qui attend anxieusement la venue de sa belle. Elle frappe enfin, et il allume une musique ridicule et éprouvante avant d'ouvrir la porte. Cette musique, accompagnant sa tenue impeccable, est presque un SOS, une façon de dire : je suis gêné, fais quelque chose, moque-toi de moi pour me détendre. Et heureusement, le personnage féminin amène un peu de naturel à cette situation : la porte s'ouvre, et elle n'est pas dehors à se tourner les pouces, non, elle est au téléphone, elle finit rapidement une conversation. Et la première chose qu'elle dit, en souriant : « qu'est-ce que c'est que cette musique ? ». Mais elle n'essaie pas de la changer. C'est important d'accepter ce qui vient de l'autre. Cerise sur le gâteau, n'oublions tout de même pas l'amorce de baiser qui tourne à l'étreinte, par inconfort ou par maladresse.
Le cap le plus difficile n'est pas encore passé. Imaginez-vous à la place d'un scénariste coincé avec ses deux personnages gênés et maladroits, qui aimeraient retrouver leur tendresse passée, coucher ensemble, mais qui ne savent pas quand commencer. Comment les aider ? Pour ma part, je ne serais pas arrivée à la cheville de la solution géniale que Wes Anderson a trouvée. Je vous la livre : l'homme du room-service commandé au début du film frappe à la porte et vient installer la table. Les deux personnages sautent sur l'occasion de ce micro-événement, ils se lèvent, la femme enlève son manteau, et ça se fait tout naturellement, dès que la porte se ferme, ils se mettent à s'embrasser. Ça ne suffit pas encore à se retrouver, mais c'est un premier pas. Ils ne font pas l'amour sauvagement. Ils commencent, mais ils s'arrêtent, peut-être parce que l'essentiel ce n'était pas de le faire mais de savoir que l'autre était prêt à le faire. Du coup, l'homme propose d'aller voir sa vue de Paris sur le balcon. Le peignoir change de corps, c'est maintenant la femme qui le porte. Et quand on les voit sur ce balcon, et qu'un travelling nous tire vers l'arrière, et qu'ils échangent quelques mots que nous, spectateur, on n'est pas donné d'entendre, on comprend qu'ils ont enfin retrouvé leur intimité, et qu'ils vont probablement passer une soirée merveilleuse.
Et tout cela en 13 minutes. C'est là que je me dis qu'en matière de court-métrage, on touche quand même à la perfection.
Cette critique est fort descriptive, mais j'espère que souligner quelques détails ne fera qu'inciter à mieux regarder les autres. De toute façon, pour une fois, on aura beau décrire, ça n'égalera pas l'intérêt de l'image même. J'espère donc vous avoir donné envie de voir, ou de revoir Hôtel Chevalier, qui fut pour ma part une excellente redécouverte (je l'avais oublié, et probablement pas aussi bien compris à l'époque).