Aujourd'hui, il est communément admis que Marvel (et par extension le vilain Disney), c'est pas du cinéma, mais du produit de très grande consommation réalisé par du tâcheron interchangeable et sans aucune personnalité, propice à la propagation du moins-disant (sous-)culturel et de l'abrutissement de la masse.
On en est donc plus à une contradiction près, voire à une certaine manifestation de la plus pure mauvaise foi, quand on réalise que les tenants de ce prêt-à-penser... Sont finalement à peu près les mêmes que ceux qui vous disaient, à l'époque, que ce Hulk était nul et non avenu. Une daube qui ne valait même pas le prix du billet...
Ah la la...
Pourtant, Hulk ne saurait être qualifié d'oeuvre sans identité puisqu'il bénéficie d'Ang Lee derrière sa caméra, donc pas le premier venu, un réalisateur qui porte sur le matériau d'origine un regard, une interprétation, une envie de cinéma dont les aigris dénoncent pourtant l'absence depuis, au moins, la phase 2 du Marvel Cinematic Universe...
Il faudrait peut être savoir ce que l'on veut, parfois. Ou savoir ce qu'on dit.
Le film n'est pas exempt d'une ou deux maladresses, certes, ni de quelques aléas rythmiques. Mais il est d'une force et d'une fragilité peu commune, à l'image, finalement, de son personnage dual, qui revisite, comme le comics d'origine, la figure du docteur Jekyll et de Mister Hyde, mâtinée de créature de Frankenstein, ou encore du mythe du loup garou. Typique, donc, des monster comics des années 60 ayant rencontré un succès fulgurant.
Ang Lee y ajoute la référence à une autre créature : King Kong, des plus flagrantes lors de la première rencontre, empreinte de douceur surprenante, entre Betty Ross et le Colosse de Jade, qui porte le même regard apaisé et désarmé que celui du gorille sur la jolie Ann Darrow. Référence prolongée par la sauvagerie d'un combat en forêt, qui aurait pu se dérouler sans mal dans la jungle de l'île du Crâne...
Mais ce n'est que le moindre des éléments convoqués, Ang Lee habillant le film de tout un background scientifique et émotionnel se nourrissant de la signification de l'alter ego de Bruce Banner, tout en en épousant les contours pour donner à l'ensemble encore plus de chair. Cela aura sans doute paru, à l'époque (et encore aujourd'hui) d'un grandiloquent hors sujet, d'un orgueil démesuré ou d'une ambition déplacée. Mais cette volonté a tout d'abord le mérite de retomber en pleine source comics, les expérimentations et le but poursuivi par David Banner rappelant immédiatement la création du sérum du super soldat coulant dans les veines de Captain America. Elle aura aussi le mérite immense de proposer une autre vision du personnage et de dépasser l'argument minimaliste de la simple explosion gamma comme seule explication à la transformation et au pouvoir du timide et ombrageux Bruce.
De « simple » film de super héros, Hulk se transforme donc littéralement en fresque shakespearo-freudienne nourrie tout d'abord des relations tumultueuses avec la figure du père, celles entre Bruce et David Banner rappelant par instants celle qui irrigue hors champ une oeuvre comme Le Voyeur. Puis par les fêlures de son personnage principal, traumatisé, devenant presque étranger à son environnement, soit les prémices de ce qui animera, plus tard, un certain Billy Lynn...
Hulk est donc finalement l'histoire d'une sombre malédiction familiale dont le Colosse de Jade n'est que la manifestation la plus ultime, un monstre du placard incarnant les secrets derrière la porte, la peur de vivre, les traumas refoulés et l'héritage de la violence.
Ang Lee ne perd cependant pas de vue qu'il doit shooter un super hero movie, loin de là. S'il utilise d'abord les artifices les plus reconnaissables, tels les split screens, les surimpressions et autres slides pour mettre en images une véritable BD animée, chaque séquence d'action constitue par ailleurs une occasion supplémentaire de faire parler la poudre. Et surtout, de livrer au public des instants comics d'une fulgurance assez terrassante, comme lors de l'évasion du complexe, ou encore face à l'armée du général Ross. La traque se muant en sauvagerie décomplexée, à coup de giant swing en plein désert avec un char, avant de littéralement en décapsuler un autre. L'errance d'un véritable dieu tout puissant à flanc de canyon, elle, n'aura jamais été aussi puissamment filmée dans le paysage Marvel.
Et si, dans la dernière ligne droite, Ang Lee déséquilibre un peu son film en touchant les limites de l'expérimentation théâtrale, le final avec Absorbing Man, bien plus lisible que certains l'affirment trop systématiquement, sera vu comme une apothéose de la relation étrange entre un père et son fils balançant entre mystique et surnaturel mêlés.
On est donc parfaitement en droit de préférer cette version maudite de Hulk, tellement difficile à gérer aux yeux de ses producteurs qu'elle sera quasi annulée par deux autres versions du mythe plus solubles au sein d'un univers partagé. Gommant immédiatement toute la singularité, toute la tragédie et les symboles d'un personnage fascinant.
On est donc à des années-lumière de l'absence d'âme et de contenu, de la paresse et de l'inexistence de personnalité que certains ne finiront jamais de déplorer au sein de la galaxie des super héros Marvel...
Behind_the_Mask, en vert et contre tous.