Je réclame, pour cette critique et cette note, le droit de la subjectivité la plus absolue.
Je refuse, pour cette critique et cette note, de me mettre, en rabattant et sur mon émotion et sur mon désir, dans la peau des universalistes de tous poils en quête de sens.
Je sais n'en pas regarder les images avec ce regard blasé de toute bibliothèque, ce regard de consommateur culturel exigeant en mal d'un surcroît de sens, d'une petite explication, d'une occasion de réfléchir encore un peu plus loin ou différemment ou plus juste. Je sais là-dessus être dans des tracés qui ne sont pas usuellement les miennes ; qui furent, peut-être, jadis, dans des spontanéités d'enfance, avant les années d'apprentissage des règles.
Je n'ai encore aucune possibilité de prendre sur ces images un quelconque recul. Rien d'autre ne m'est donné que de me noyer en ces vies frontalement offertes, pour moi si ouvertes que je n'ai d'autre option que de m'y abandonner, l'une après l'autre, à la déferlante des émotions qu'elles me provoquent.
Je ne peux, de même encore, en recevoir la lenteur hypnotisante des images que comme autant de reflets, de répons, de contre-sujets aigus aux voix, au front et à l'oeil. Et je sais de cette musique qu'elle m'agacera demain de ses facilités et de son tropisme glassien - tout autant qu'elle s'anastomose aujourd'hui à des sentiers que j'assumais insus.
Demain. Demain, je m'irriterai sans doute de telle ou telle construction, du privilège accordé à tel thème, du maniérisme, de la partialité, d'une saveur d'ensemble bien trop acide-et-sucre. Demain, oui. Demain. Quand la matière aura cessé de vivre, brute comme ce face à face d'un visage - et jamais ce geste lévinassien ne m'aura été plus immédiatement compréhensible -, pour que j'en remplace le frémissement par l'angle d'une forme et la tristesse des axiologies, oui, demain, peut-être, aurais-je coeur assez rasé de frais pour donner à ces films (un par soir, sur YouTube) une note plus assise sur les conventions de notre ennuyeuse sociabilité pleine d'esprit et de clignements d'oeil.
Mais ce soir, non, ce soir je n'en rabattrai pas. Et cette critique ne parlera, somme toute, que de moi, de la chronique que je fais non d'un film mais, explicitement, de moi-même sous l'influence d'un film, qui me touche non par ce que j'en comprendrais de la forme mais par ce qui, depuis une certaine forme dont je ne devine que l'ombre, vient me déboîter les articulations mentales. Je ne suis en mesure d'y voir aucun message à propager, aucune niaiserie gentillette non plus qu'aucune acidité de matou avisé des villes hypermodernes et lasses. Juste, dans le flou de chaque mouvement offert, dans la lenteur de la déclosion voulue par le cinéaste, dans toute cette fausseté qu'est le dispositif d'une oeuvre, quelque chose d'une humanité que je suis et qui me dit, précisément, depuis la force d'où je la perçois, cette infinie faiblesse de l'autre, quel que soit son lieu, qui n'est encore, indéfiniment renouvelée, que la donation sans pourquoi de (dieu) - Lévinas, disais-je.
Il n'y a peut-être rien de tout cela dans ces films. Et pourtant cela s'y trouve. Puisque je l'y ai rencontré, dans les lucidité intenses, exaltées peut-être, où l'on me trouve en retour. Je me suis senti de l'écrire. Mais non point d'en discuter. On souffrira donc que les commentaires soient clos. Une fois n'est pas coutume.
P.-S. : Il sera intéressant, une fois tout ceci retombé, de s'interroger sur le monde à même de promouvoir ce type d'oeuvre, sur ses conditions de production et diffusion, sur son articulation avec la série des reportages sur l'humain (quoi que présenté comme tel, Human n'est pas un reportage), sur le lien de son esthétique à ses projets ou résonances politiques et morales, etc. Ce sera intéressant, oui. Mais pour le moment, ce n'est pas moi qui serais capable de le faire. D'autres, émotionnellement différemment câblés, s'y lancent d'ailleurs déjà.