Black voices father
Les grands penseurs se reconnaissent dans la propension qu’ont leurs idées à dépasser l’époque qui les a vu naître. En écho avec notre temps, ils l’éclairent d’un jour nouveau ; tristement...
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https://www.youtube.com/watch?v=k0c1c0ZsTLA
Trop peu connu de ce côté de l'Atlantique, James Baldwin a été un des grands écrivains américains du XXème siècle, inspirant, entre autres, la romancière et Prix Nobel de littérature Toni Morrisson. Il a longtemps souhaité faire un grand livre sur les États-Unis, un portrait sans fard de cette société américaine dont il a été un des plus fins analystes. Ce livre, il n'a jamais pu l'écrire.
Le cinéaste haïtien Raoul Peck a eu accès à tous les textes, tous les documents concernant Baldwin, et il a tenté de reconstituer ce livre à partir des lettres de l'écrivain, de ses discours, ses débats, ses apparitions télé, etc.
I am not your negro est donc, d'abord, le portrait d'un homme. Un homme engagé, militant, qui portait un regard acéré sur son pays. Il s'agit, pour Raoul Peck, de faire revivre le romancier, de présenter aux spectateurs toute la force de son écriture, de « prendre sa parole en plein visage ». Ainsi donc, le documentaire ne présente que les propos de James Baldwin, que ce soit lors de documents d'archives (émissions télé, conférences) ou en voix-off (les textes de l'écrivain étant lus par Samuel L. Jackson en anglais, et Joey Starr en français).
Et comme le propos de Baldwin est de militer pour l'égalité des droits aux États-Unis, le documentaire va forcément aborder frontalement ce sujet. Le romancier souhaitait que son livre tourne autour de trois personnalités parmi les plus représentatives de ce combat, Medgar Evers, Malcolm X et Martin Luther King Jr, tous trois assassinés. Baldwin ne cache pas les différences qui opposaient les personnalités, entre le combat pacifique de Martin Luther King et la recherche d'un affrontement prôné par Malcolm X. Mais au-delà de ces différences, c'est toute la question de l'engagement qui se pose.
Selon le romancier, être engagé ne signifie pas s'enfermer dans un clan pour s'opposer à d'autres clans. Être pour les droits des Noirs ne signifie pas que l'on soit contre les droits des Blancs. Et Baldwin montre, à travers son parcours, que sa volonté est bien celle d'une unité. Vivre ensemble, pas vivre les uns contre les autres. Mais cette unité est rendue impossible. C'est là que le propos du documentaire dépasse la simple lutte des Noirs pour l'égalité des droits pur se transformer en un portrait amer de l'Amérique, voire de l'Occident tout entier.
« L'histoire des Noirs en Amérique, c'est l'histoire de l'Amérique, et ce n'est pas une belle histoire. »
Le documentaire présente une double narration. D'un côté, en voix-off, nous avons les paroles de Baldwin. De l'autre côté, nous avons les images choisies par Raoul Peck. Et ce choix n'est jamais innocent. En décidant de nous montrer des archives sur le tabassage de Rodney King par des policiers de Los Angeles en 1991, en mettant en parallèle les conflits raciaux de Birmingham (Alabama) de 1963 et de Ferguson (Missouri) en 2014, le cinéaste démontre manifestement que la lutte est loin d'être finie. « L'Amérique n'est pas le pays des hommes libres », nous dit Baldwin. A l'émotion intense qui se dégage du documentaire, on peut comprendre à quel point ce constat est amer.
L'Amérique, c'est une société blanche et immature. « Le Blanc est une métaphore du pouvoir », affirme Baldwin. Et il nous montre comment « être nègre » est une construction mentale et sociale, une invention des Blancs. Une classe blanche terrifiée qui a besoin d'inférieurs pour se sentir forte, pour ressembler enfin aux images de héros à la John Wayne que lui renvoie le cinéma. Le Noir, comme les Indiens, c'est l'Autre. Celui que l'on ne veut pas côtoyer, que l'on ne cherche pas à connaître. Celui contre lequel on cherche à se construire.
Partant des textes de l'écrivain, Raoul Peck fait donc un documentaire formidable, émouvant, passionnant, d'une grande intelligence, mais aussi un film choc, qui se veut brutal dans son propos pour mieux pouvoir nous interroger sur notre conception du monde, sur l'image que nos médias nous envoient de nous-mêmes, sur la notion d'engagement, sur la liberté et les combats qu'il faut mener pour la mériter. « Nous n'avons pas le droit d'être libres, nous avons le devoir d'être libres », affirme Martin Luther King au début du film. Un devoir qui justifie toute la lutte menée par Baldwin et qui continue à être d'actualité.
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Créée
le 3 mai 2017
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