Le film raconte l’histoire d’une tutrice pour personnes âgées qui profite du système pour arnaquer la mère d’un dangereux mafieux russe. Rosamund Pike nous livre encore une fois, une belle prestation, à l’image de ce qu’elle avait déjà montré, dans Gone girl, le film de David Fincher sorti en 2014. Elle interprète une tutrice particulièrement incisive, dans son désir de soutirer toutes les économies des personnes âgées. Sauf que sa dernière victime va lui poser de sérieux problèmes. Car en effet, il se trouve que Peter Dinklage, qui joue le redoutable fils mafieux russe de la victime, va employer les grands moyens afin de sauver sa mère des griffes du système et surtout de notre anti-héroïne.
Découvrant que sa dernière victime représente une manne financière considérable, elle décide de lui voler tous ses biens, y compris des diamants. Ce qui va rendre complètement hystérique son propriétaire qui va partir en guerre contre Rosamund Pike alias Marla Greyson, afin de libérer sa mère du piège tendue.
On peut se demander, en quoi la figure féminine transcende t – elle la notion de l’immoralité dans ce film ? Ici, le féminisme est-il diabolisé ? Nous verrons en premier, comment le réalisateur s’est-il servi des références cinématographiques analogiques pour mettre en évidence l’univers et le caractère méthodique de notre anti-héroïne. Puis on fera ressurgir la dimension féministe du film.
S’il on devait parler de références cinématographiques, on pense d’abord à Layer cake de Mattew Vaughn sorti en 2004. Jonathan Blakeson s’est inspiré de son compatriote dans la conception narrative et esthétique du film. En effet, dès le début, on a la voix off de notre anti-héroïne qui se mue en narratrice, en faisant une introduction existentialiste et assez satirique, car elle dénonce en même temps l’hypocrisie d’un système qui pousse la société vers un échec assuré. Elle met l’accent sur son caractère presque bestial dans sa volonté de réussir à tout prix ! Rosamund Pike alias Marla Greyson revendique cette animalité et assume totalement son côté obscur, puisqu’elle s’en sert contre quiconque veut se mettre au travers de son chemin.
Et dans Layer cake, nous avons le même dispositif narratif par rapport à la voix off de Daniel Craig qui ouvre le bal dès le début du film, avec le même discours pragmatique, satirique et existentialiste qui dénonce à la fois, un système politico-économique biaisé par les intérêts et les enjeux colossaux du business des opiacés. Il dénonce l’hypocrisie d’un système et d’une politique qui donne uniquement aux industries pharmaceutiques le luxe et le privilège d’exploiter ce marché pharamineux.
De ce fait, on remet en cause ironiquement la notion de moralité pour mettre en évidence les intérêts capitalistes du sujet.
Mais tout d’abord, ce qu’on trouve fascinant, c’est l’opportunisme quasiment altruiste dans le choix du casting, car en choisissant Rosamund Pike, le spectateur possède déjà un ancrage mémoriel saisissant par rapport à sa performance phénoménale dans Gone girl de David Fincher. Et bizarrement, on se dit même que, notre actrice principale n’a pas eu à déployer tout son talent pour incarner son personnage impitoyable. En effet, elle interprétait un personnage très complexe parce qu’elle cachait en elle une schizophrénie sous-jacente qui frisait parfois l’ultraviolence proche de la psychopathie. Et pourtant, l’image qu’elle renvoyait, bien évidemment, grâce à son physique, et à son charme naturel, de la jolie femme bourgeoise et moderne dans toute sa splendeur, contrastait furieusement avec cette autre facette diabolique et machiavélique qui la caractérisait.
Ainsi, on se rend compte que la dimension psychanalytique de ce personnage haut en couleur dans le film de David Fincher, anticipe et prend à témoin en quelque sorte le public, qui certes, ne va pas assister à un chef d’œuvre à proprement parlé du 7ème art, de par le jeu d’acteur de notre rôle principal, dans I car a lot, qui reste selon moi, correcte et assez minimaliste. Cela dit, ce procédé se révèle très judicieux pour le public connaisseur, qui a d’abord assisté au succès écrasant de notre blonde sulfureuse aux côtés de Ben Affleck, avant de pouvoir apprécier à sa juste valeur I care a lot.
Ce point de vue psychanalytique doit être mise en exergue par le choix du casting, dans sa volonté de représenter une femme moderne, au caractère bien trempé, mais qui, dans sa personnalité et son esthétique, laisse transparaître dans ses convictions, un combat personnel en son for-intérieur. Cela nous pousse à se demander, en quoi l’incarnation d’un personnage symbolique ou iconique peut-il surplomber son interprétation dans un autre film ? Car au vu de son caractère jusqu’au boutiste du personnage qu’elle a incarné dans Gone girl, on se doute bien que la pugnacité et la férocité de notre chère tutrice allait faire écho avec tout le background symbolique et iconique qu’elle a magistralement opéré chez David Fincher en 2014.
Les références avec Layer cake ne sont pas en reste non plus, car on a aussi l’amour impossible des deux couples, qui finissent par la mort des deux personnages principaux à la fin, en la personne de Daniel Craig et Rosamund Pike. Cette analogie du détail va jusque dans la mise en place scénaristique des personnages secondaires qui ont tué nos deux antihéros. On peut même parler de ce petit clin d’œil subtil et abstrait, dans une approche nominative du titre Layer cake, qui fait sans doute référence aux gâteaux que Peter Dinklage prenait un malin plaisir à savourer dans I care a lot. Dans ce registre linguistique, le titre de Layer cake fait office de révélateur symbolique, car l’image des gâteaux s’inscrit dans une représentation langagière plus ou moins distancée. Dès lors, la référence aux gâteaux peut être interprétée comme étant le pouvoir, le magot, le pactole ou l’oseille. Bref, ce pouvoir que notre mafieux russe, détient et s’amuse à croquer avec délectation, représente, en quelque sorte, le but ultime de nos antihéros, ou alors ce bonheur illusoire qui finit par trahir nos deux protagonistes téméraires et cupides.
Le film de Jonathan Blakeson révèle en tout cas, les défaillances effarantes et complètement démentielles du système de santé américain, qui négligent et à la fois, profitent de certains vide- juridiques pour anéantir la vie des personnes âgées. On a l’impression d’assister à un braquage organisé par le gouvernement pour arnaquer les retraités américains. Les failles qui sont dénoncées dans ce film nous rappellent aussi le film Paranoïa de Steven Soderbergh sorti en 2018. Le piège dans lequel s’est retrouvé la mère du mafieux russe, ressemble au calvaire qu’a vécu l’héroïne du film de Steven Soderbergh, qui s’était retrouvée enfermée et piégée dans un hôpital psychiatrique alors qu’elle était saine d’esprit.
L’autre facette qui interpelle est sans doute, le côté immoral du film. Le fait de voir que notre anti-héroïne assume sa malveillance envers les personnes âgées, le public ne souhaite qu’une chose, c’est de la voir échouer, voire même mourir. Alors oui, ce film est éminemment féministe, de par la représentation symbolique d’une actrice formidable, dans un rôle qui met en avant les tribulations d’une jeune femme, aussi intelligente que diabolique. Son homosexualité renforce encore plus la contextualisation narrative d’une thématique tendancieuse et volontariste. Bardée d’une pugnacité triviale, le personnage de Rosamund Pike prouve que la malhonnêteté, la cupidité, la force et le pouvoir ne sont pas seulement l’apanage des hommes. Les femmes aussi peuvent régner dans ce monde. Sa cruauté et ses ambitions démesurées finissent par moment, à détourner le public de cet anti-héroïne sans scrupule. Une fois encore, le choix du casting joue en faveur de notre tutrice intrépide, puisqu’à un moment donné, le physique entre en jeu et bien évidemment, comme on pouvait s’y attendre, le nanisme de Peter Dinklage sera jeté en pâture honteusement, jusqu’à la nudité. Ainsi, le charisme indéfectible de notre mafieux russe se retrouve supplanté par sa propre nature, mais surtout par le caractère infaillible de Rosamund Pike qui survit courageusement à une tentative de meurtre de cette mafia russe. Par conséquent, la symbolique du physique féminin de notre anti-héroïne est forcément entrée en collision frontale avec l’image du nanisme de Peter Dinklage. Désormais, on atteint un point de rupture édifiant dans le paradigme des représentations imagées. Car jusque-là, le caractère chétif du physique de Peter Dinklage, contribuait en quelque sorte à personnifier encore plus la froideur et l’aigreur de cette représentation maléfique, du bad guy standard du mafieux russe dans le cinéma hollywoodien. Alors certes, l’originalité du casting peut questionner, mais le talent monstrueux de l’acteur Peter Dinklage a déjà fait ses preuves depuis bien longtemps. La notion du combat féministe nous apparaît indirectement dans la volonté farouche du scénario qui s’est efforcé à casser les codes, de par l’esthétique et la nature des personnages principaux. Et pourtant, la tutrice Marla Greyson n’est jamais apparue aux yeux du public comme une femme fragile ou une victime, même lorsqu’elle était sur le point de mourir. Elle prend définitivement l’image du personnage impitoyable et conquérante que celle de Gone girl.
La mort inattendue de notre anti-héroïne a sonné le glas chez le public, car après l’accomplissement triomphant de notre tutrice, tout semblait tourner à son avantage. Son mental à toute épreuve et son abnégation lui ont permis de bâtir tout un empire. Dès lors, l’accentuation transgressive de sa stratégie machiavélique, a fait d’elle, une femme milliardaire et ultra-puissante. Et comme la fin justifie les moyens, le public retient particulièrement la résilience, la pugnacité, la ténacité et la vaillance absolue d’une femme qui porte sur ses épaules un combat qui va au-delà du féminisme.
Le discours subversif envers l’establishment sonne un peu comme une satire corrosive sur les enjeux socio-politiques et économiques, d’un pays qui fait tant rêver mais qui laisse ses aînés périr sans dignité. Le réalisateur anglais dépeint aussi un tableau machiavélique sur le self made woman, qui oblige notre protagoniste à être une tutrice impitoyable et sans scrupule, n’hésitant pas à enfreindre la loi et à s’allier avec la mafia russe pour s’accomplir et devenir une milliardaire. Et c’est bien la thématique sociale qui fait figure de proue, si l’on analyse bien le film. Le film veut nous amener à reconsidérer d’une certaine manière la réussite fulgurante de notre personnage principal, par un pragmatisme lucide et amer des intérêts économiques et politiques qui finissent toujours par prendre le pas sur la moralité et la bien-pensance. Autant profiter d’un système défaillant pour s’enrichir en écrasant tout sur son passage, que de rester à sa place et de faire ce que la société attend de nous, et finir pauvre comme le reste de la société. En gros, c’est le concept trivial et moral qui entre en jeu encore une fois, parce qu’elle le dit elle-même au début du film, que « l’intégrité est une blague inventée par les riches pour que les pauvres restent pauvres… Je suis Marla Greyson et je ne suis pas un agneau, je suis une putain de lionne ».
Aussi, la force du film réside dans le caractère assez détestable de son anti-héroïne qui prend un malin plaisir à arnaquer ses victimes et ensuite à la faire mourir in-extremis vers la fin, pour le plus grand bien du spectateur. Oui, on a détesté Marla Greyson du début à la fin mais, force est de reconnaître que, d’une certaine façon, son caractère certes, diabolique et infâme, force quand même le respect parce qu’elle a su s’affranchir du carcan de la bien-pensance et aller au bout de ses rêves, même si cela va au-delà de la moralité et du politiquement correct, elle au moins, assume ses ambitions face à cette hypocrisie magnanime et latente d’un système politique tout puissant, qui s’octroie tous les profits au dépens d’une société conformiste et docile, victime de la monstruosité avide des riches.
Au final, on se dit que la cupidité prend le pas sur la moralité, mais notre personnage principal a été ni plus ni moins, que le reflet d’une société poussée à l’extrême vers la réussite du « quoiqu’il arrive » et du « tout et tout de suite ». La mise en place de ce personnage féminin dont les traits de caractère ont été grossis délicatement par sa beauté fatale, impétueuse et presque impénétrable, met en lumière le combat intrinsèque d’une femme déterminée face au monde impitoyable du système, et qui va sombrer dans sa folie des grandeurs. On ne peut s’empêcher de revenir inlassablement vers les références cinématographiques du film, qui à mon sens, ont inspirées le réalisateur pour ce film, et on pense bien évidemment à Gone girl, Layer cake et Paranoïa. Ce savant mélange entre drame et thriller montre le charme ironique du destin de Marla Greyson, qui foudroie la force indéfectible de notre anti-héroïne, symbole de l’Alpha, cette « lionne » qui finit abattue par un homme perdu, qu’elle considérait justement comme un « agneau » sans défense, qu’elle pouvait écraser à sa guise.