« Icare » doit être le meilleur film d’animation que j’aie vu au cinéma depuis « le Peuple loup » !
A chaud, je le mettrais peut-être un cran en-dessous, au moins techniquement parlant. Il est un peu plus sage en termes d’inventivité visuelle, la musique verse parfois un peu plus dans le remplissage, et je n’ai pas été tout à fait convaincu par certains effets 3D (les quelques travelings verticaux, notamment).
Mais si l’on passe outre, c’est un film franchement aimable, surtout pour les amateurs de mythologie grecque !
Pour commencer, le dessin est beau, que ce soit pour ses environnements exotiques ou quant à ses personnages, tous bien caractérisés physiquement. Thésée, par exemple : rien qu’à voir ses traits anguleux presque androgynes, son corps à la fois svelte et puissant, sa chevelure hérissée lui faisant une sorte couronne, on comprend qu’on n’a pas affaire au commun des mortels. Nous savons qu’il est altier et présomptueux, insaisissable, avant même qu’il ouvre la bouche.
Et en ce qui concerne l’animation, il y a de sacrées fulgurances. Je pense aux « flash-backs » et aux « flashforwards » dont les couleurs et le montage vifs redoublent la puissance (l’île du roi Minos qui se transforme en tête de minotaure pour dévorer le navire grec, voilà une image qui peut marquer un gosse !). Et surtout, il y a ce combat entre Thésée et Astérion crayonné en noir et blanc, avec ces plans collant au héros comme pour l’étouffer, ce labyrinthe mouvant et cyclopéen, ainsi que ces attaques complètement démesurées du minotaure !
Parmi les points que j’ai préférés, il y a le fait que le récit soit assez peu manichéen. Aucun personnage n’est parfait, sauf peut-être Icare, qui laisse justement beaucoup de place aux autres. Pasiphaé a ses raisons de vouloir la mort de Thésée, qui en retour, a ses raisons de vouloir tuer Astérion. A ce titre, j’ai trouvé un peu dommage de multiplier les ricanements machiavéliques de Minos. Si les scénaristes avaient plus pris le parti d’un roi de Crête impitoyable mais honorable, à la colère rentrée et dévorante, je pense qu’on aurait eu un excellent antagoniste, et pas simplement un méchant un peu plus ambigu que la moyenne. Parce que vu la manière dont il perd son fils, et dont il se fait tromper par son épouse, on comprend tout à fait sa rancœur !
Au bout du compte, l’adaptation ne s’écarte pas beaucoup du mythe original (ce qui est plutôt une bonne chose, pour ma part), mais ses quelques variations suffisent à le rendre plus poétique. Je pense exemplairement au traitement du minotaure (que seul Minos appelle ainsi : les scénaristes l’humanisent aussitôt en nous donnant son nom). Son apparence quasi féminine le rend tout de suite plus mystérieux que si c’était une brute pleine de poils. Sa relation avec Icare est enfantine aussi dans sa pureté, magnifique dans ses maladresses. Voir le futur mastodonte peiner à tenir debout, c’est touchant. L’iconisation de ses cornes est très réussie : l’idée de les faire s’illuminer quand il éprouve de l’affection, c’est simple, c’est beau, et ça permet des plans empreints de charme, comme celui où il ramasse le morceau que Minos lui a coupé pour l’accoler au front d’Icare. Lui ajouter un pouvoir télépathique est bien vu également : en plus de souligner la puissance de son amitié avec Icare, il renforce sa propre aura (et le timbre de sa voix, limpide et profonde, n’y est pas pour rien). Enfin, raconter qu’Icare rejoint le soleil non par orgueil, mais pour retrouver son frère d’âme, c’est conclure cette œuvre sur un vrai moment de grâce.
Bref : voilà un film qui ne prend pas les gosses pour plus bête qu’ils ne sont ; qui n’a pas peur de faire mourir certains de ses héros et qui ose ne pas punir son antagoniste. C’est la cruauté de la mythologie grecque : on ne distribue pas les bons et les mauvais points comme dans n’importe quel récit moralisateur. Concernant l’ambivalence, j’ai beaucoup aimé que Thésée décide d’abandonner Arianne sur un pile ou face, par exemple. Nous avons même le droit à des dialogues au langage châtié et à des passages érotiques, mais sans vulgarité. Les enfants avec qui j’ai partagé la séance n’ont pas tout compris (vous m’étonnez ! celui qui a demandé à sa mère ce que Pasiphaé faisait, en entrant dans la vache de bois alors que le taureau blanc apparaissait, m’a bien fait marrer !) mais je suis sûr qu’ils remercieront encore leurs parents après plusieurs années !