La Rechute
Adolf Hitler se réveille à Berlin en 2014, un peu paumé, se frayant un chemin dans ce monde bizarre, sans uniformes, sans guerre, cosmopolite et rempli d'écrans. Un minable journaliste viré de son...
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le 22 oct. 2015
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Cela fait quelques projets de comédie qui ont tenté de s'approprier le Führer que je désespère de voir un jour quelqu'un réussir à me faire rire sur le sujet. Le potentiel est pourtant énorme, mais il semble que seul Michel Hazanavicius ait trouvé la recette pour convier des nazis caricaturaux et nous en faire rire à gorge déployée, sans que la moindre ambiguïté idéologique vienne polluer quoi que ce soit (car les OSS 117 ne sont pas politiques, même si leur contexte l'est). Ici, on va rire un peu, mais surtout, on va nous apprendre à rire. Car on ne peut pas rire de tout, surtout dans l'époque où l'on vit. Et voilà que le spectateur qui venait voir une comédie se retrouve embrigadé dans un cours de politiquement correct où régulièrement, le film délaisse le rire pour asséner d'un ton on ne peut plus sérieux ses messages politiques.
L'ouverture du film présage du pire, avec Hitler qui parle à un coach d'étiquette dont le nom et le métier sont inscrits sur l'écran façon caméra cachée. Le postula est identique à Borat, Brüno et au plus récent Dictateur avec Sacha Baron Cohen. Seulement, on ne desserre pas les dents une fois pendant tout ce dialogue. C'est de l'absence de comique atterrant. Cette tentative de gag sur le salut nazi tombe à plat dès les premières secondes et elle dure plusieurs minutes... Déjà, la première faille du film se révèle : l'humour y est faible. On comprend vite qu'à vouloir la jouer subtil, le film sombre dans la lourdeur de l’insipidité, en ratant régulièrement ses tentatives (son personnage secondaire de journaliste raté en est un exemple frappant). Toutefois, quelques passages provoquent un sourire, comme Hitler qui, devant gagner un peu d'argent, se met à dessiner des portraits de passant dans la rue et gribouille des dessins dégueulasses. Mais à côté, on subit des scènes comme Hitler qui se bat avec une barre de céréales sans parvenir à ouvrir l'emballage. Idem pour la satire politique : on sourit à l'idée de voir Hitler soutenir les écologistes (pour préserver le territoire), mais il est pitoyable de voir Angela Merckel se faire taxer de charisme de nouille froide sans davantage d'approfondissement, un quolibet gratuit complètement parachuté et qui n'a rien de bien caustique. Et vers la fin, Hitler tabassé par des néo-nazis, une petite ironie où l'on esquisse un sourire.
Le film décide vite de partir sur le terrain de la politique avec l'idée amusante de voir Hitler faire une nouvelle campagne pour revenir au pouvoir, et donc se déplacer en Allemagne pour parler aux gens. L'idée est bonne, et voilà que toutes les conversations se mettent à poindre vers l'invasion des migrants (en 2015, c'est dire si le sujet s'est aggravé depuis). Et là, le film ne fait plus rire. Hitler balance une remarque sur la préservation des chiens purs races à une entraineuse canine qui approuve, et repart sur les migrants avec un sérieux intraitable. Genre ce qui s'applique aux chiens s'applique aussi aux migrants, il y a un principe de vases communicants de la Haine. Une seule personne parle alors du sentiment d'abandon de la part du pouvoir, une accusation qui est donc présente, mais qui ne sera pas ressortie par la suite. On ne sait alors plus du tout de quoi le film parle ou cherche à faire rire (la séquence où un ivrogne lance "je serais prêt à me sacrifier pour mon pays" est lancée comme ça, sans qu'on sache si on doit se foutre de sa gueule, le huer, en conclure que le patriotisme est une vertu hitlérienne...).
Le film se donne alors de nouvelles directions, que je vais résumer ainsi :
- Hitler est toujours montré comme un tyran voulant tuer les races inférieures en reprenant le pouvoir. Le film montre les gens qui rigolent, puis qui se mettent à le prendre au sérieux (autant parmi les détracteurs que les sympathisants). En insistant très sérieusement sur ce point, le film finit tout simplement par dire (par la bouche du Führer) que le Mal est en nous, qu'Hitler a été élu démocratiquement et que donc le Mal peut ressurgir. Il touche en cela à une vérité puisque le vote reflète l'opinion de la majorité (d'ailleurs, il compte là dessus pour nous faire peur et rejeter en bloc tout ce qu'Hitler dit incarner, Travail Famille Patrie et le toutim). Mais il lance une accusation sur l'ensemble de la population, explicitement. Or cette intention est forcée. Hitler dit qu'il a été élu alors que le peuple connaissait tous ses plans, ce qui est complètement faux, nombre de mesures (dont l'instauration des camps de prisonniers politiques) ayant été prises pour faire face à des situations se présentant au fur et à mesure. Pareil sur le fait que tout le monde partage ses valeurs ! Faire preuve de patriotisme ou d'amour pour sa communauté ou sa culture ne fait pas d'un homme un monstre à tuer pour défendre son Havre. Il s'agit d'un argument typique de société multiculturelle qui voit chaque communauté comme un bloc de résistance, alors que les gens ont d'abord besoin de se rassembler avant de comprendre comment marchent les autres. Il est naturel de se rassembler autour de points communs, toutefois, attention, pas trop de points communs !
- Le point capital démontrant l'idéologie à l'oeuvre est que le film finit par assimiler le rire des gens à la pensée nazie d'Hitler. Les gens rient, donc ce n'est pas grave, et on laisse faire les monstres. On en est à ce niveau. En 2015, on nous présente un Hitler dont on peut soit disant rire, et on est taxé de nazi parce qu'on a essayé d'en rire. Je comprend clairement que des spectateurs se soient sentis mal à l'aise devant ce film, on peut même se sentir insulté. Le film vient nous soutenir, avec un sérieux religieux, que Hitler et l'aigle nazi qui reviennent, c'est drôle 5 minutes, mais qu'à la longue c'est criminel ! Et il insiste pour qu'on prenne cette connerie d'une évidence colossale au sérieux, genre on ne l'avait pas compris. Il est sûr qu'en ces temps de xénophobie et d'exode migratoire dans des proportions d'envergure, on ne nous le répètera jamais assez, avec la montée des extrêmes et tout ça. Mais oser nous appâter avec l'idée d'une comédie pour nous balancer un tel endoctrinement politiquement correct, ça relève du tour de force. Le film ose nous enchaîner des dizaines de blagues antisémites et racistes à l'humour inégal (parfois fin pour la blague des étoiles, déplorable pour le reste) en accompagnant chaque chute d'un silence de mort, et il croit alors qu'il démontre que le politiquement incorrect est lourd et blessant au premier degré. Mais c'est seulement de la vulgarité gratuite, et surtout un humour d'une déplorable pauvreté qui devient lourd au bout d'une minute, et gênant au bout de deux. Même si le racisme des scénarios de Tarantino a tendance à m'agacer pour sa redondance, il est assez doué pour parvenir à nous en faire rire, contrairement à cette daube.
Le film se clôt donc dans la peur, sur des images de manifestations nationalistes anti migrantes, quelques actes de violences, de Marine le Pen, du mécontentement populaire avec la voix d'Hitler en arrière plan qui jubile en disant que le terrain est fertile et bientôt prêt pour le grand retour. Il espère donc créer un choc auprès de la population et peut être un désir d'auto-régulation devant cette Haine grimpante. Car rien n'est jamais développé sur le contexte des migrants, rien n'est fait pour comprendre ces populations ou ces rancoeurs, et ce n'est pas le gouvernement qui semble s'en préoccuper autrement que par le matraquage idéologique. Anecdote amusante, le film finit par faire une boucle avec un film dans le film, histoire de faire un petit lien avec la réalité. Le film remplit donc parfaitement sa mission idéologique de dénazification parmi nous, curieux de voir comment il sera accueilli (la précédente comédie indé, Mon Führer, avait fait un bide totalement mérité).
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le 28 avr. 2016
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