Pour la réalisatrice belge Paloma Sermon-Daï , la famille n’est pas seulement la cellule humaine au sein de laquelle nous sommes venus au monde pour nous en détacher ensuite plus ou moins nettement, elle est aussi source d’inspiration, vers laquelle elle retourne, une fois parvenue à l’âge adulte, pour braquer vers elle sa caméra, soit sous forme documentaire, avec Petit Samedi, en 2020, soit sous forme de fiction, avec ce titre délibérément paradoxal, Il pleut dans la maison (2023).
En 2020, sans que le lien des personnages avec la réalisatrice soit explicité, celle-ci filmait sa propre mère, Ysma Sermon-Daï, et son propre frère, Damien Samedi, qui prêtait son patronyme au titre du film, à travers la façon dont les voisins le désignaient lorsqu’il était encore enfant. A présent, c’est vers la fille de son demi-frère, Purdey Lombet, qu’elle tourne sa caméra, ainsi que vers le demi-frère de celle-ci, Makenzy Lombet, qui avait déjà fait une brève apparition dans Petit Samedi. Bien que très inspirée de sa propre vie, la trame est fictionnelle, mais le documentaire laisse sa trace dans le fait que le duo frère-sœur au centre de l’action conserve ses véritables prénoms et n’adopte pas des identités de fiction.
Tourné dans la région d’origine de la réalisatrice, la Wallonie, aux abords du Lac de l’Eau d’Heure, Il pleut dans la maison énonce dès l’abord un dysfonctionnement lié au foyer. La maison, l’espace qui est censé protéger, offrir un toit, laisse passer l’eau de pluie. Signe qu’un abri, une protection y font défaut. De fait, grands adolescents, Purdey, l’aînée, et Makenzy, le cadet, doivent affronter seuls une vie sans père et officiellement placée sous la protection d’une mère alcoolique et fêtarde, essentiellement absente même lorsqu’elle se trouve épisodiquement présente. La maison qui prend l’eau, à tous les sens du terme, se retrouve donc comme un navire sans gouvernail, chargée de deux passagers à la dérive.
Mais aucun pathos, aucun misérabilisme. Dans la lumière dorée de l’été, souvent sur les rives du Lac de l’Eau d’Heure, les deux adolescents abordent la situation chacun à leur manière, sous l’œil précis du directeur de la photographie, Frédéric Noirhomme. Purdey, avec la maturité et le sens des responsabilités d’une aînée, Makenzy avec toute l’inconséquence et le malaise d’un cadet. Très finement, Paloma Sermon-Daï filme aussi bien la grande proximité, presque incestuelle, qui unit le frère et la sœur - à travers certains de leurs jeux, l’eau d’un même bain partagée… -, que l’éloignement progressif qui se creuse entre eux, Purdey choisissant la voie de la douceur et de la construction, alors que Makenzy se laisse happer par la colère et la destruction. Le poids de la question sociale n’est pas tu, jusque dans son risque de déterminisme, concernant les métiers ou les logements accessibles à ceux qui entrent presque nus dans le jeu hiérarchique, tout autant que s’il s’agit de montrer une soudaine envie de massacrer l’autre, simplement parce que le hasard l’a fait jouir de privilèges de naissance dont on a été privé…
Les rouages classiques du récit et les points de passage presque obligés sont habilement réenvisagés par celle qui apparaît dès lors comme une petite sœur prometteuse de son grand compatriote, Felix van Grœningen. Difficile, en effet, de ne pas songer au saisissant La Merditude des choses (2009), qui interrogeait pareillement une entrée dans l’existence non favorisée. Mais, si l’aîné belge n’hésitait pas à explorer la noirceur, il ménageait, en contrepartie, une issue plus lumineuse. La jeune réalisatrice, née le 14 juillet 1993, préfère, aux extrêmes, l’ambiguïté, et les fins ouvertes.
Critique également disponible sur Le Mag du Ciné : https://www.lemagducine.fr/cinema/critiques-films/il-pleut-dans-la-maison-film-paloma-sermon-dai-semaine-de-la-critique-cannes-10059534/