Premier long métrage de Anthony Chen, et premier regard sur deux êtres mal-aimés qui se rejoindront, comme il les filmera 7 ans plus tard avec Wet Season. Koh Jia Ler pour son premier rôle au cinéma marque par son naturel et trouvera son alter ego dans le second métrage avec le même rapport à l'autre, possessif, violent et maladroit (ça donne envie de fouiller cet angle particulier, chez le réalisateur, qui utilise pratiquement les mêmes gestes d'attachements excessifs).
L'absence de musique, judicieuse, et la qualité de jeu des autres acteurs, tous à leur place, Yeo Yann Yann, parfaite en bourgeoise rigide, Chen Tianwen, dans le personnage du père, pour lequel on salue un portrait d'homme aimant et dépassé, mais toujours absent, particularité masculine encore une fois, que l'on retrouve dans Wet Season et Angeli Bayani qui trouvera chez lui une sorte de soutien passif au mépris de son épouse, malmenée mais non soumise.
Un regard humaniste, et des scènes tout aussi courtes qu'elles sont pertinentes. Violentes notamment dans le rapport à l'enfance, (coup de baguette par le proviseur, redresseur de tort, vient en porte-à-faux de l'environnement familiale laxiste) le difficile passage à l'adolescence, la solitude du couple face à l'adversité où chacun dans sa bulle tentera de redresser la situation d'une crise financière qui les impactent tous (loto, bourse, escroquerie) et l'esclavage moderne (on cache ses bijoux, on récupère le passeport, on loge la nounou dans la chambre du garçonnet, par terre).
Le cinéaste ouvre le récit par le regard de tous les personnages sur la situation, de plus en plus précaire qui renforcera l'incommunicabilité déjà à l'œuvre. Un père qui évitera de parler de la perte de son emploi, la mère signant inlassablement les lettres de licenciement de son entreprise, attendant son tour, attachée à son confort, impatiente à l'égard de son mari et de son enfant, jalouse de Térésa qu'elle accusera de se substituer à son rôle de mère.
Et Térésa, délaissant son propre fils pour travailler à Singapour, déracinée, en butte avec l'enfant qui finira par s'attacher à elle, pour la plus grande frustration de sa mère et qui devra finalement partir avec à peine de quoi payer son retour.
Tout en sobriété, sincère et en économie de mot, déjà, la narration épouse le rythme faussement tranquille des destinées individuelles, mais toujours à bonne distance, quelques plans rapprochés, mais une absence d'émotion par un cheminement expédié dans les liens qui se tissent entre Jiale et Terry laisse un peu en dehors de ce drame social.
Une belle maîtrise de mise en scène pourtant, servant de terreau et de prises de marques pour Wet season à venir, plus intense.
Tirée des souvenirs du cinéaste pour sa nounou, originaire du village d’Iloilo pour un bel hommage à cette femme, donnant enfin aux parents l'opportunité de reprendre leurs rôles et à Jiale de grandir. A.Chen a du chercher les lieux appropriés pour retranscrire l'époque, d'où des décors restreints. Il ne démérite pas d'ailleurs sur tous les menus détails et une belle ambiance parfois vaporeuse, avec des plans d'ensemble saisissant les scènes quotidiennes, les regards et les silences lourds de sens.
Par ce portrait d'une famille en quelque sorte recomposée, l'occasion pour le cinéaste de parler de Singapour sa ville, de la classe moyenne et laborieuse et en filigrane le travail au noir, la difficile insertion des étrangers et les rapports de classe.