Puisque le visionnage de The Other Side of the Wind est indissociable de toute la ténébreuse histoire de sa genèse contrariée, voir le documentaire qui accompagne sa sortie en est le complément incontournable. Et force est de constater que retrouver Orson Welles à l’image, l’entendre parler de son projet et en voir les coulisses éclaire l’œuvre, voire accroît notre tolérance face à elle.
Le film permet de resituer dans la carrière du géant cette œuvre ultime et inachevée. Mais avant que de parler du tournage à proprement parler, on prend soin d’évoquer avec minutie l’état des lieux d’un parcours chaotique, traumatisé par le coup d’éclat que fut Citizen Kane, et la dégringolade d’un génie qui, dès son second film, est mis au ban de l’industrie hollywoodienne avec laquelle il va jouer au chat et à la souris toute sa carrière durant, cachetonnant en tant qu’acteur ou à la télévision pour mieux produire ses films, la plupart en Europe.
Le récit se garde pourtant d’en faire un martyre, et c’est tout à son crédit que de ne pas céder à la tentation si fréquente de l’hagiographie. Welles est présenté comme un créateur incontrôlable, naviguant à vue, assez persuadé de son génie et, surtout, exploitant tous les gens conscients de son talent. Sa relation avec Bogdanovich, au cœur même de l’écriture de The Other Side… est ainsi retranscrite en détails : la relation fusionnelle, la reconnaissance du jeune premier avec La dernière Séance ou La Barbe à Papa, et l’aide apportée (Bogdanovich l’a ainsi laissé squatter chez lui de longs mois) avant que Welles ne le crucifie en direct à la télévision, lui envoyant par la suite deux lettres dans une même enveloppe, l’une d’excuse, l’autre assumant ses propos, et lui demandant de choisir.
Entre temps, sur les cinq ans de tournage du film, Orson qui a toujours expliqué que le film n’était pas autobiographique, aura réécrit le rôle du disciple, qui de biographe (première fonction de Bogdanovich) devient réalisateur en vogue, d’autant que son ami lui-même finira par prendre le rôle alors que le premier comédien lâche l’affaire après sept semaines de tournage…
Autre zone d’ombre, le beau portrait de Gary Graver, son caméraman et chef op, littéralement esclave surmené, obligé d’aller cachetonner dans l’industrie du porno pour pouvoir se nourrir, et que Welles aidera lui-même à monter un de ces films pour qu’il puisse retrouver le plateau de sa propre œuvre !
Le film a aussi l’honnêteté de ne pas trancher, acceptant de considérer Welles comme il le fut : insaisissable, homme de contraste, habité mais hâbleurs, génial mais instable, visionnaire mais ingérable et fonctionnant sur le conflit. On caresse un moment l’idée séduisante – et terriblement européenne – de voir comme une signature l’inachèvement de son œuvre, avant de prendre le contrepied en montrant à quel point il s’est battu pour tenter de la terminer, évoluant au fil des années sur un projet qui devenait un miroir bien trop fidèle du marasme de sa propre carrière. Et de se dire que lorsqu’on se comporte comme un personnage romanesque, la vie devient matière aux documentaires les plus passionnants, même si elle est, pour soi et son entourage, proprement invivable.