La fin d'un régime d'oppression, en évitant d'en générer un autre

John Boorman déçoit assez tragiquement en échouant à exploiter de manière convenable une véritable mine d'or liée à l'Histoire récente de l'Afrique du Sud : la fin de l'apartheid, conceptualisé et introduit en 1948, et officiellement aboli en 1991. "In My Country" propose ainsi de jeter un regard sur la "Commission de la vérité et de la réconciliation", organe national mis en place principalement par Neslon Mandela et l’archevêque Desmond Tutu afin de lutter contre les cycles de violence meurtrière et de vengeance sanglante interminables qui ont émaillé les grands conflits du 20ème siècle. Le principe de cette commission était on ne peut plus simple : offrir aux acteurs de l'apartheid la possibilité de comparaître devant un tribunal spécial, d'avouer et reconnaître précisément leur part de responsabilité, de convaincre la commission de l'obéissance obligatoire à des ordres issus de la hiérarchie, de fournir des excuses publiques pour in fine obtenir éventuellement une grâce.


Sujet en or, donc, questionnant les problématiques propres à la réconciliation des peuples, au pardon et à la tolérance dans des situations complexes et humainement difficiles. Mais Boorman, pour une raison au mieux inconnue, au pire bassement mélodramatique, manquant de confiance en la capacité d'un tel contenu à se suffire à lui-même, décida d'introduire dans ce riche bouillon issu de la vérité historique une sauce fictionnelle du plus mauvais goût. Le film calque en réalité son regard sur une relation amoureuse qui évolue en périphérie des audiences, romance entre une journaliste afrikaner (Juliette Binoche, dont l'accent en la matière n'est guère convaincant) et un journaliste noir américain (Samuel Lee Jackson). Bof, vraiment.


D'une part, une telle focalisation contribue à brouiller la clarté de la trame historique au cœur du film. On comprend très vite que Boorman souhaite jouer sur la corde sensible et nous prendre par les sentiments titillés par cette histoire purement artificielle et fictionnelle afin d'accentuer la portée dramatique des témoignages bien réels des séquences au tribunal. Le procédé est vraiment racoleur, et incroyablement contre-productif : on en vient à presque rejeter des parties pourtant intéressantes comme celle consacrée à la philosophie humaniste africaine appelée Ubuntu, fondée sur une éthique du solidarisme reposant sur la relation à l'autre, qui pourrait se définir comme "je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous". À noter l'existence d'une fin alternative introduisant un peu de nuance dans la position finale du personnage interprété par Samuel Lee Jackson, mais tout de même, c'est un vrai carnage intellectuel.
D'autre part, ladite relation est mise en scène à la manière d'un téléfilm (reproche qui pourrait d'ailleurs être beaucoup plus global), extrêmement tire-larmes, calqué sur une grille de lecture simpliste et à ce titre insupportable. En résumé, on a droit à l'afrikaner blanche convaincue de l'utilité et de la justesse d'un tel débat qui s'éprend d'un journaliste noir plus sceptique, et c'est le sentiment amoureux décrit précédemment qui sera le principal moteur de l'évolution de sa position. C'est donc uniquement le scénario, la partie parfaitement romancée et artificielle du film, qui convaincra le journaliste du bien-fondé de la commission : aucune réflexion ni démarche intellectuelle ne préside semble-t-il à sa prise de conscience. C'est plutôt décevant.


On en restera donc à l'atrocité et à l'inconscience de façade des bourreaux. L'efficacité de cette initiative juridique et l'accélération du processus de paix qui en découle seront à peine effleurées. L'opposition entre victimes et bourreaux, la trahison de classe de la part de la journaliste blanche afrikaner, l'incompréhension du noir américain quant à la part africaine d'une citoyenne blanche, etc. sont autant de points de friction historique dévorés par la part fictionnelle du film. "In My Country" enfonce beaucoup de portes ouvertes, en ouvre quelques-unes de verrouillées, mais ne parvient jamais à réellement dépasser le stade de l'illustration scolaire d'une horreur humaine, d'une souffrance évidente, et d'une intolérance vraiment basique. Les musiques ethniques et les paysages africains qui accompagnent plusieurs séquences sont à ce titre particulièrement dérangeants, car parfaitement artificiels — à l'instar de la romance, inutile. Des émotions en toc et un cours d'Histoire très maladroit au regard de l'importance d'un tel tournant historique en Afrique du Sud : tout cela aurait mérité un bien meilleur traitement.


[AB #164]

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le 7 déc. 2016

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Morrinson

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