Un film allemand un peu fauché sur la fin du monde : merci à Cannes et ses sélections parallèles qui permettent la mise en lumière d’une diversité salvatrice.


In my room multiplie les fausses pistes, qui semblent assumées au vu de son amusante ouverture, durant laquelle un caméraman visionne des rushes et se rend compte qu’il a confondu les boutons on et off de son appareil lors d’interview de personnalités politiques : on ne voit ainsi que des transitions à jeter, et la mise en place de l’objectif qui s’éteint au moment où l’image allait devenir substantielle. Une façon d’annoncer la couleur sur plusieurs tableaux : la maladresse d’un protagoniste loser, mais aussi la vie qui l’attend, faite de récupération et de recyclage avec les déchets d’un monde qui va cesser de fonctionner.


La première partie, trop longue, dresse le portrait de l’antihéros et de la fatigue généralisée d’un monde qui ne tourne plus vraiment rond, tant dans les relations amoureuses laborieuses que la vie de famille qui tourne à la contemplation de l’agonie des ainés. C’est le portrait du loser et l’hiver de la vie civilisée, dans la grisaille et le désespoir de l’acceptation.


La transition du cataclysme se fait dans un silence glaçant, et prouve une nouvelle fois que l’économie de moyen peut être une force, pour peu qu’on ait le talent adéquat : toute présence humaine s’étant volatilisée, le monde devient une sorte de reste, une after de fête déraisonnable dans laquelle le personnage resté seul va devoir organiser une nouvelle vie. S’en suit l’été d’une singulière robinsonnade, qui vaut surtout par son solipsisme et la sagesse un peu frustre avec laquelle le personnage devenu protagoniste malgré lui organise sa nouvelle vie.


Singulière, parce que les survivances du monde entier le font aussi ressembler à un gigantesque buffet dans lequel on peut encore se servir un bon moment. De ce fait, le rapport à la nature et l’invention d’une roue à aube, s’ils semblent tomber sous le sens, ont un éclat assez ironique dans la mesure où toute option écologique est dorénavant vaine, la terre ayant finalement repris ses droits.


C’est sur ce fil assez ténu que se déroule la suite du récit, par lequel Ulrich Köhler (compagnon de Maren Ade, réalisatrice de Toni Erdmann, à eux seul un couple bienfaisant pour le cinéma allemand contemporain) évite soigneusement toute empathie excessive pour une aventure à la Zemeckis. L’arrivée d’une autre survivante en sera la preuve par l’expérience : l’humain, avant d’être au monde, est un tempérament, que la nécessité peut certes contraindre, mais jamais totalement occulter. In my room, qui porte bien son titre, déplace ainsi les mêmes enjeux d’une saison à l’autre : d’une chambre sordide d’un citadin à l’espace harmonieux d’une forêt luxuriante, la solitude d’un être reste finalement la même.


(6.5/10)

Sergent_Pepper
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le 10 janv. 2019

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