In the Mood for Love par Anonymus
Ceux qui trouvent ce film chiant n'aiment probablement pas la peinture.
Puisque chaque image de ce film est d'une beauté à couper le souffle, d'une vraie beauté de composition, de cadrage, de mise en place de la couleur, puisque chaque costume est réfléchi, pensé, que chaque regard est pesé, calculé, dirigé, que chaque mouvement est suspendu, décomposé en une multitude de gestes significatifs, je suis personnellement extrêmement frustré par la rapidité de ce film, dont les plans s'enchaînent trop vite pour que je puisse réellement en saisir toute la profondeur, toute la complexité, tout le mystère.
Ceux qui trouvent ce film chiant n'aiment probablement pas la musique.
Puisque la bande originale, devenue célèbre, est d'une telle grâce, d'une telle puissance, que son omniprésence nous berce et nous enveloppe, nous subjugue, nous aspire dans la lente monotonie d'une vie sans joie, d'une vie dans laquelle le bonheur serait possible mais hélas interdit, puisque cette musique nous révèle avec une telle vivacité l'âme des personnages, je pourrais pour ma part regarder ce film les yeux fermés, n'écoutant que la musicalité des voix et des mots inconnus, tantôt secs et coupants, tantôt traînants et presque pervers, et m'en satisfaire comme d'un opéra.
Ceux qui trouvent ce film chiant n'aiment probablement pas la tragédie.
Puisque d'une histoire banale à pleurer (un homme et une femme découvrent que leur conjoint les trompe ensemble) on parvient à tirer une parabole universelle sur l'hésitation, sur le tiraillement des sentiments, sur le refus du mensonge qui en entraîne d'autres, sur le choix volontaire ou non (qu'en sait-on, en fait ?) de la morale contre l'amour, du malheur contre le bonheur, de la réputation contre le désir, je donne à ce film une dimension cathartique qui n'a même pas besoin du héros mythologique comme vecteur et qui se contente de la vie banale d'une secrétaire dégoûtée par les tromperies de son patron et d'un journaliste en quête d'ailleurs. Rien ne dit dans le film si nos deux personnages succombent finalement à leur inclinaison (une scène coupée nous apprend que oui, mais elle a justement été coupée) et la pureté des sentiments qu'ils expriment suffit à nous faire ressentir toute leur douleur et à nous en purifier. On reste toutefois dans le champ du théâtre : les scènes les plus cruelles ne sont qu'illusion, un film dans le film, imaginé par les deux amants pour se protéger de leur amour.
Ceux qui trouvent ce film chiant n'aiment peut-être tout simplement pas l'art ? Peut-être ne veulent-ils voir au cinéma que des successions d'images rapides, rythmées, consommables sans trop d'effort, sans trop d'investissement, qui engendrent un plaisir immédiat et facile, un plaisir de supermarché ?
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste