20 Septembre 2013 - An 3 après Infection.
Voilà trois ans que le virus s'est déclaré, provoquant d'abord des petits changements, légers soubresauts de publics et rumeurs diverses s'amplifiant jusqu'à l'émeute et la folie pure.
Revenus aujourd'hui à une accalmie toute relative, la marée du public cinématographique ayant adopté sa parure d'huile pour un temps, je profite de ces quelques mois de répit pour écrire un court résumé de ce premier lourd foyer infectieux survenu il y a maintenant trois ans.
Nul espoir de contribuer à la résistance contre le virus, aucun but de devoir personnel, ce n'est que dans la déjà vaine recherche de l'évacuation de mes peurs les plus profondes et de mes souvenirs hantants que je laisse ces quelques lignes.
Semaine 1 :
Le début du mois cinématographique s'est avéré plus que calme, ne présentant que son lot habituel de productions estivales. Depuis quelques jours déjà, on entend parler d'un film et d'un nom fortement associé au "Chevalier Noir". La presse ayant comme a son habitude pris les devants dans son rôle de détonateur humain, annonce l'arrivée d'un nouveau "génie" au visuel époustouflant et à la fine intelligence implacable.
L'enthousiasme populaire va croissant.
Mercredi 21 juillet 2010
Le film est sorti en salles. Pour l'instant, rien de très spécial à signaler. la semaine se termine tranquillement, ne laissant apparaître que quelques cas isolés et peu préoccupants de développement d'une certaine forme aiguë de fanatisme pour le moins risible. Rien de très nouveau là dedans, l'effet "The Dark Knight" ne s'est pas encore éteint, voilà tout.
C'est lors du weekend de cette même semaine que j'ai pris personnellement conscience du danger en lisant les lignes d'une de mes connaissances personnelles sur le sujet. La proximité avec un infecté ne faisait pour l'heure que m'intriguer, j'étais encore loin du compte.
Sur un blog désormais depuis longtemps tombé en désuétude que nous tenions avec des amis, l'un d'entre eux exprime son euphorie en sortant de la salle. Il parle d'être sûrement entrain de "rêver encore", de film "intelligent", de "génie virtuose"... C'aurait été une source d'intérêt si les deux jours passant, mon entourage n'avait pas montré des signes comportementaux similaires pour le moins inquiétants.
Semaine 2
Ce que présageait le weekend n'a fait que se confirmer et va en s'amplifiant. La marée publique prend des allures de mer déchaînée. Les affiches du film sont placardées aux quatre coins de la ville, sur les bus, les grattes-ciel, les zeppelins... La musique du film fait l'objet de multiples publications, projetant le nom de Hans Zimmer aux côtés du réalisateur, au panthéon Historique. Les infectés se multiplient à une vitesse tétanisante, développant un sectarisme profond et incompréhensible.
Semaine 3
Ne pas avoir vu "Inception" devient extrêmement dangereux. Les infectés se regroupent, organisent des discussions et guettent la proie inculte pour la déchiqueter.
Semaine 4
C'est mon jour de repos et j'ai prévu de me faire un cinéma. Mais je n'ai pas prévu d'aller voir "Inception". Comme j'en ai envie depuis maintenant quelques années, je prends le chemin du cinéma pour "Expendables". Sur la route, je croise une connaissance infectée.
- Hey salut ! Tu fais quoi par ce temps ?
- Rien aujourd'hui, je vais au cinéma.
- Y a quoi à part Inception ? Ou alors tu vas le revoir ?
- J'ai pas encore vu Inception. Je vais voir Expendables.
Ce fut mon contact le plus terrifiant avec un infecté. Aujourd'hui encore je ne sais si je peux vraiment m'y fier ou si le temps a nuit sur mes souvenirs ou si l'exaspération profonde a modelé mes images mémorielles, mais l'idée même de cet instant me glace encore le sang. A cette révélation, l'infecté a fait un pas en arrière, comme s'il s’apercevait soudainement qu'il discutait avec un rat mutant à tentacules, sa face se balafrant d'un rictus de dégoût et ses yeux roulant dans ses orbites comme des boules de billard agitées de soubresauts déments. La réaction qui a suivit fut directe et inexorable : Après un très illustre "Ah.." et un sourire proche de la plus ignoble des condescendances, l'infecté s'en est allé d'un pas alerte.
Aujourd'hui encore, je suis fier d'affirmer que bien qu'ayant failli défaillir devant tant de sombre humeur et de hideux dédain, je n'ai pas craqué et ai pris mon ticket pour Expendables, bien que les séances fussent à la même heure.
20 décembre 2010 - 4 mois après infection.
Après deux mois d'un sombre calme, toutes les grandes surfaces, Fnac et autres temples de la consommation se parent du dos de DiCaprio. L'affiche bleutée et le titre labyrinthique refait surface, le dvd est arrivé. Les infectés se réveillent et envahissent ces lieux, s'arrachant ces objets comme des dés à coudre d'eau dans un désert sans fin. En quelques minutes, les bacs sont vidés. Dvd et cd de BO sont en rupture de stock. Le marasme général repart, l'infection reprend son horrible apanage.
Été 2011 - Un an après infection.
De retour pour un temps dans ma bourgade natale, je vais séjourner chez un ami d'enfance en qui je pense avec espoir pouvoir trouver l'antidote contre cette furieuse propagation de germes critiques. Je ne me suis pas trompé. Arrivé tard en cette bonne ville du Mans, il m'accueille avec du coca sur son canapé troué, comme toujours. Profitant de tout son attirail, nous enchaînons quelques parties de God of War 3 puis de Street Fighter 2 Turbo avant qu'on se décide à lancer un film. Il branche son disque dur et vogue de par les fichiers. Voyant le sombre titre passer entre un tas d'autres, je tente le coup sans hésiter.
- Ah tiens, je n'ai pas encore vu Inception...
- Ah... boarf, il est pas exceptionnel hein. J'ai Piranha 3D sinon ?
Ce serait peu dire que d'avouer que cette réaction fut un véritable bonheur. Après quelques échanges, nous lançons finalement le fameux Inception, film du nouveau génie du cinéma, décrochant le monopole de la réflexion sur grand écran au 21ème siècle.
J'ai alors découvert un film parlant dans toute sa continuité de "profondeurs", de "limbes", mais n'en comportant lui même pas la moindre. Un film tape à l'oeil et hypocrite que je qualifierai plus tard dans mes heures les plus aigries de "Transformers non assumé", ou comparerai dans mes moments les plus posés "d'éventuelle alternative à Avatar". Un film traitant d'un des sujets les plus intéressants par une des manières les plus affligeantes qui soient : l'architecture fermée. Non pas que l'idée "d'architecte" du rêve ne soit pas excellente, mais plus parce qu'il m'est difficile de concevoir le rêve comme montré dans le film, définitivement structuré, cadré, cloisonné, comme une boite en carton qui se referme avec panache dans l'unique but de faire étalage d'un potentiel numérique relativement exceptionnel. Architecture du rêve, sujet passionnant s'il en est, mais employé d'une manière que je trouve bien trop "rationnelle" ici. Une boite en carton vide, recouverte d'un papier d'emballage pimpant saveur "intelligent". Un Apéricube est décidément bien moins menteur.
J'ai conscience d'être agressif à l'excès envers ce film dont je reconnais certaines évidentes qualités. Je me doute que mon jugement a été dévié par le côtoiement des innombrables infectés de mon entourage à l'époque de la grande révolte et du nouveau fanatisme, mais je reste froid devant ce film. Il faudra quand même que je le revois un de ces quatre, car je suis entièrement apte à un second jugement. L'infection reste fortement active, comme l'a récemment démontré la sortie furieuse de "The Dark Knight Rises". En attendant, profitons de ce calme avant les prochains films du sieur Nolan, génie oeuvrant dans l'ombre.