Je suis snob.
Je dois être très snob car en plus d'avoir apprécié, j'ai même étudié ce film dans le cadre d'un cours. Cependant je comprend très bien ton avis, et je suis d'accord avec toi ce n'est pas film, ce...
Par
le 14 nov. 2010
35 j'aime
6
Des voix hésitent, se souviennent. Recomposent une histoire d’amour et de mort qui s’est passée aux Indes, il y a longtemps. Ne la ressuscitent jamais : India Song, ce n’est pas la sonate de Vinteuil. Comment exprimer au cinéma cette irréductible distance entre ces souvenirs fragmentaires, dispersés et une réalité qui a depuis longtemps sombré dans le néant? Comment inscrire le manque et l’absence au cœur des images?
Le pari osé de Duras, ce sont les voix off tout au long du film. Il fallait que ceux dont on parle ne soient que l’ombre de ce qu’ils ont été dans le monde des vivants. Désormais, les protagonistes de ce drame ne sont plus que silence. Ils sont passés de l’autre côté des miroirs dans lesquels inlassablement ils se reflètent, plongeant le spectateur dans l’illusion et la perplexité. Ils évoluent lentement dans de longs plans fixes qu’ils traversent comme des spectres.
Ainsi privés d’une part d’eux-mêmes, ces fantômes, ces figurants jouent le jeu intemporel de la passion, un peu comme s’ils en dénudaient le mécanisme. Anne-Marie Stretter, superbement incarnée par Delphine Seyrig, nous apparaît élégante, sensuelle, offerte mais tellement absente, suspendue entre l’être et le néant : "Presque rien n’est possible aux Indes, c’est tout ce qu’on peut dire". Quant au vice-consul maudit, autre naufragé de l’existence, interprété par Michael Lonsdale, il hurlera sa passion pour celle qu’il n’aura jamais dans un long cri bouleversant, sorte de rituel primal, obscène, insupportable.
C’est fou ce que Duras arrive à mettre de plénitude dans un film dédié au vide et au manque, sollicitant au détour tous nos sens. Le long plan fixe sur la poitrine de l'héroïne, sa lente respiration, la sueur qui perle sur sa peau nue et blanche évoquent la moiteur, la chaleur insupportable de la mousson. L’encens qui brule dans les vases renvoie à la puanteur du Gange, à l’odeur atroce et douçâtre (une odeur de fleurs) de la lèpre.
Et puis, il y a India Song, la musique envoûtante, obsédante de Carlos d’Alessio. "Je suis venu aux Indes à cause d’India Song. Cette musique me donne envie d’aimer", dira le vice-consul. Une musique d’un autre temps, à jamais aboli. C’était en 1937, cela fait si longtemps. Cette musique qui demeure, seule vivante, éternelle et inoubliable, celle d’une pure passion.
Créée
le 10 févr. 2016
Critique lue 1.1K fois
12 j'aime
35 commentaires
D'autres avis sur India Song
Je dois être très snob car en plus d'avoir apprécié, j'ai même étudié ce film dans le cadre d'un cours. Cependant je comprend très bien ton avis, et je suis d'accord avec toi ce n'est pas film, ce...
Par
le 14 nov. 2010
35 j'aime
6
C’est une chanson que je joue très tard la nuit, dans ma tête ou bien sur le piano. Souvent quand il fait chaud. Ça me rappelle l’Inde que j’ai imaginée. Je ferme les yeux pour jouer sur mon piano,...
Par
le 18 juil. 2019
22 j'aime
7
Alors attention ici ça passe ou ça casse, ou plutôt si vous vivez la même expérience que moi, ça casse PUIS ça passe. En effet pendant une heure je n'ai cessé de penser à la célèbre phrase de...
Par
le 7 déc. 2020
16 j'aime
1
Du même critique
Quelle claque, mais quelle claque ! C’est vrai, j’ai tardé à aller voir Joker, mais voilà : je sors de l’expérience éblouie, ébranlée, totalement chamboulée. Partie pour visionner un bon thriller...
Par
le 23 déc. 2019
54 j'aime
35
Certaines expériences de lecture sont particulièrement marquantes. C’est ainsi que je me souviens parfaitement des circonstances de ma rencontre avec L’Adversaire d’Emmanuel Carrère. Le hasard avait...
Par
le 17 avr. 2017
53 j'aime
50
Que reste-t-il de soi quand la mémoire irrémédiablement se désagrège et que la conscience de son être prend l’eau de toute part? Que reste-t-il quand des pans entiers de pensée s’effondrent dans...
Par
le 24 juil. 2018
51 j'aime
53