Dans ce premier documentaire fictionnel, Tony Gatlif nous immerge dans l’univers sombre et solitaire d’une migrante africaine appelée Betty. Durant tout le long du film, nous ne pouvons pas savoir où elle se rend, à qui elle parle et qui elle est réellement. Nous sommes nous-mêmes dans l’incertitude, seuls face à ce personnage et ce contexte de crise dans lequel elle plonge malgré elle. Il faut savoir que Tony Gatlif est connu pour sa mise en forme poétique et il s’avère que dans cette réalisation il arrive à mêler un hommage à l’œuvre de Stéphane Hessel et un essai artistique sur les évènements liés aux « indignés ». La scène de la danseuse de flamenco qui bat des pieds sous le regard de Betty et un violon envoûtant témoigne de la motivation du réalisateur de donner un sens artistique et poétique à son sujet d’investigation.
Betty se mêle au fur et à mesure de ses pérégrinations à l’inconnu, aux indignés, manifestants européens contre un système qui ne remplit plus ses fonctions d’égalité et de démocratie. Les messages portés par Stephen Hessel dans son opuscule apparaissent à de multiples reprises à l’écran et accompagnent finalement ce que tente de véhiculer Tony G. : une présentation alternative du phénomène multiple de la crise socio-économique de la fin des années 2000. Ceci n’est que partiel, mais c’est en cela que « Indignados » a une portée interrogative. Et le réalisateur se délecte à nous priver de commentaires et d’interviews pour justement inviter le spectateur à se poser des questions sur ce phénomène sociologique complexe mais riche en transversalités.
En effet, les « indignés » sont encore une fois l’expression de plusieurs problématiques sociologiques connues et traitées dans différents champs de la sociologie actuelle : l’immigration, l’intégration, la démocratie, la jeunesse ou encore le travail, tous ces sujets si controversés. Mais aussi des problématiques citoyennes et politiques qui ont tendance à remettre en cause l’ordre établi, la façon dont la démocratie se vit au quotidien dans le monde. L’engagement du cinéma dans la sphère politique n’est pas nouveau, on se souviendra des documentaires de Michael Moore notamment. Il conviendra donc de se rendre compte que Gatlif n’a fait que présenter partiellement ce vaste sujet, qui dans la continuité de l’essai de Stéphane Hessel, se targue d’inviter les citoyens à agir sans réellement donner des explications précises et intelligibles de la rébellion supposée. C’est le seul reproche que l’on peut faire à ce travail cinématographique qui ose néanmoins aborder la critique capitaliste sans rentrer dans les clichés militants déjà connus.
Le deuxième documentaire fournit dans ce DVD est également très riche en information sur la manière dont Tony G. désire relayer le texte de Stéphane Hessel. Ce dernier fait la comparaison de sa résistance et celle des indignés actuels. On se rend vite compte que cet ancien résistant français veut transmettre à toute une génération un message citoyen et militant, dont la portée ne saurait se contenter à des actes précis, mais plus une philosophie et un message d’espoir. Ce documentaire s’articule autour des extraits de l’ouvrage Indignez-vous et les différentes manifestations des jeunes indignés à la Puerta del Sol (Madrid) et dans d’autres villes d’Europe et du monde entier comme Tokyo ou New-York.
Toutes ces images font réfléchir sur la manière dont le mouvement s’est mis en place. Apolitiques et totalement libertaires, on sent que les individus inscrits dans ce mouvement ne sont pas seulement présents par solidarité mais qu’autre chose les inspire et le manque d’interviews se fait sentir à partir de ce moment-là. On aimerait savoir ce que pensent réellement tous ces jeunes du livre de Stéphane Hessel, celui qui inspire tant cette minorité révoltée par les excès du système économique actuel, de la mondialisation et du manque d’aide humanitaire. C’est peut-être son plus grand défaut malgré une volonté de ne refléter qu’une vitrine objective de ce mouvement, le manque d’informations sur la personnalité des manifestants fait qu’on se retrouve vite dans une représentation du mouvement qui semble caricaturée.
Mais on se souviendra de la difficulté que représente l’observation et par la suite l’analyse de l’altermondialisme par les sociologues, notamment « la décroissance ». Même si à de nombreux égards les mouvements de contestation ont toujours eu une accroche particulière avec les intellectuels sociologues, il est toujours délicat de donner son opinion ou d’établir une analyse objective. Les indignés et ce documentaire réalisé par Tony Gatlif ne font que reprendre un flambeau déjà allumé à la fin des années 60 par le mouvement hippie. Mais on sent que de nos jours, avec l’impact des nouvelles technologies d’information et de communication et la sporadicité des mouvements sociaux que le changement des mentalités n’est pas pour maintenant et que les citoyens baissent facilement les bras face à une société trop économique et trop complexe. Stéphane Hessel a l’intime conviction que l’indignation reste l’ultime moyen de renversement de la société, la véritable révolution historique citoyenne, message poignant mais peut-être trop tardif. Il n’empêchera pas aux sociologues de considérer ces deux documentaires comme un excellent outil de travail pour ce sujet qui finalement nous concerne tous, indignés comme résignés.