Voilà un sujet !
En ces temps troublés, on se félicite qu'un documentariste se penche sur ces "Indignés" d'Espagne ou d'ailleurs, sur ces mouvements qui traversent notre continent quand les médias nous abreuvent de réflexions sur la crise, les banques, la macroéconomie... Car on s'y perd un peu au milieu de tous ces discours, et pourtant on sent bien que c'est là que ce sont des gens : vous, moi, tous ceux qui regardent le monde et manifestent leur désaccord ou leur incompréhension.
Gatlif choisit ici de mettre la fiction au service du réel, afin de livrer un regard, une part d'humanité sur ce qui se passe. C'est donc l'histoire d'une clandestine africaine qu'il choisit de nous raconter, une Africaine échouée sur une plage d'Europe, continent dans lequel elle sera ballotée tout au long du film, assistant ainsi aux mouvements de révolte des Indignés, tout en répétant inlassablement à sa famille restée en Afrique, qu'elle joint parfois au téléphone, que tout va bien.
Alors qui sont ces Indignés ? Que va-t-on comprendre en regardant ce film ?
Eh bien, pas grand'chose ! Et c'est bien ça le hic... Un documentaire sans vertu informative ou explicative, c'est embêtant... Finalement, on n'est pas tellement plus avancé à la fin qu'au début : alors, oui, on a vu des gens défiler, manifester... et puis des gens perdus, ballotés d'endroit en endroit, oubliés... Mais quoi ? Qu'y a-t-il de plus que ce que les journaux télévisés ne nous ont déjà appris, montré, rappelé ? D'ailleurs, Gatlif prêche des convaincus...
Bien sûr, ce film est l'expression d'un engagement : Gatlif réhabilite les petits, les jeunes, les rejetés, les "oubliés du système". Mais, à force de vouloir concerner, il cède par trop à la facilité en devenant simplement moraliste. A force de pathos, il en oublie ce que le spectateur était venu chercher : des explications. Et le documentaire tourne au simple clip engagé...
Certes, il y a de belles images : la photo est parfaite, certaines scènes sont réussies, comme celles des oranges (ou mandarines) qui dévalent les rues d'un petit port de Méditerranée pour finir dans une barque. Mais que penser de ces innombrables incrustations de citations du petit livre de Stéphane Hessel (Indignez-vous) dont le film se voudrait une sorte d'adaptation cinématographique ? Est-il vraiment nécessaire de souligner le propos à ce point ? On avait déjà compris...
Idem pour les nombreux plans fixes de squat, avec en prime (et toujours en surimpression) le nom des SDF qui vivent (malheureusement là), ou ces autres plans (toujours fixes) d'immigrés, squatteurs, ouvriers au rabais (mais beaux !) perdus près de rails de chemin de fer... C'est un peu répétitif, c'est un peu lourd... On se croirait, le plus souvent, dans un message télévisé de sensibilisation pour une organisation caritative. C'est propre, c'est léché, mais c'est un peu trop clippé, trop formaté, trop évident. On se lasse de ce message implicite : "Regardez, ce sont des gens (sous-entendu bien), ce qui leur arrive est mal (c'est la faute au... système, enfin on sait pas trop)..."
Car en plus d'oublier de livrer un vrai travail d'investigation, qui aurait véritablement éclairer le spectateur, Gatlif oublie aussi de nous raconter une histoire. Il devait être question d'une immigrée clandestine venue d'Afrique et qui découvre au gré de ses errances le mouvement des Indignés, sorte de Vénus noire sortie des eaux (là encore, le plan de son arrivée à la nage sur une plage grecque est explicite, et la référence est un peu lourde). Mais elle ne dit rien, elle ne comprend rien, elle ne donne aucun regard (ce que montre plusieurs gros plans d'ailleurs). La seule fois où elle semble exprimer une adhésion, c'est quand elle voit une jeune femme (espagnole ?) qui apprend le début des manifestations sur son I-phone (sans doute via Facebook) et prévient une amie dans la foulée (un mouvement rotatif de caméra souligne d'ailleurs - encore une fois avec lourdeur - le "tourbillon" d'enthousiasme qui saisit la jeune I-phoniste). Qu'en penser ? Le sort des clandestins, c'est mal mais l'I-phone, c'est bien ? On est un peu perdu... Un peu aussi comme avec le coup de la cannette (de Pepsi, de Coca) que Gatlif filme régulièrement en insert (jetée dans une rue, écrasée dans la main de la clandestine devant une manif...) : quelle dénonciation des grands groupes qui sont censés diriger le monde !
Pour conclure, le sujet était porteur, l'intention louable, l'image belle, mais que de lourdeurs dans la réalisation, que de plans ou d'effets inutiles, que de propos exagérément appuyés ! Pas de réel récit, pas d'éclaircissements... Reste une bande-son remarquable (de Delphine Mantoulet et Valentin Dahmani), même si elle renforce l'impression de clip promotionnel pour cause humanitaire.
On n'est pas vraiment indigné par ce film, donc, mais cela reste, pour un documentaire fictionné, plutôt indigent.