Nombreux sont les films latino-américains à explorer le phénomène des bandes et de la criminalité des jeunes, sur ce continent outre-Atlantique. À commencer par Pixote (1982) d’Hector Babenco ou, plus récemment, L’Eden (2022) d’Andrés Ramírez Pulido ou encore Un Váron (2022) de Fábian Hernández, pour ne citer qu’eux.
Vivant une partie de l’année dans la ville de Guatemala et fortement impliqué dans le développement culturel de cette capitale, le réalisateur états-unien Justin Lerner (19 mai 1980, USA -) - ici également scénariste, co-monteur avec Cesar Diaz, et co-producteur - centre son troisième long-métrage de fiction sur une héroïne féminine, Sarita, incarnée avec à la fois beaucoup de sensibilité et une grande maestria par l’actrice guatémaltèque Karen Martínez. Cette figure aussi honnête et droite que volontaire part à la recherche de sa sœur cadette (Pamela Martínez) brusquement disparue et, dans cette quête, s’approche dangereusement d’une bande de délinquants pratiquant sans le moindre scrupule une violence radicale.
En amont, Justin Lerner s’est abondamment documenté sur le fonctionnement de ces « clicas », ce qui lui permet une approche fine et nuancée de ces groupes sociaux constitués de gens autour desquels les différentes attaches naturelles se sont en général défaites, si bien qu’ils considèrent la petite cellule humaine que forme leur clica avec un intégrisme encore plus forcené que s’il s’agissait de leur propre famille. Ces bandes sont d’ailleurs le plus souvent placées sous l’autorité d’un homme aîné qui tient lieu de figure paternelle. Ici, les deux silhouettes mises en présence sont aussi riches et complexes l’une que l’autre : le « patron » (Rudy Wilfredo Urrutia) et Oliveiros (Juan Pablo Olyslager), le concurrent que le premier souhaite éliminer.
Car, et c’est là l’une des intelligences du film, Justin Lerner ne se contente pas d’opposer les gens honnêtes et ces gangs organisant leur existence selon une sorte de code législatif qui leur est propre ; d’une part, il fait saillir les oppositions qui les animent et peuvent les conduire à s’entretuer ; d’autre part, il illustre combien est étroite l’arête qui sépare le légal de l’illégal et le bien du mal ; quand, même, Bien et Mal ne sont pas étroitement entremêlés, au point d’en devenir indiscernables… Frontière ténue que dessine parfaitement le parcours de l’héroïne, en même temps que celle-ci gagne en épaisseur à chaque étape du récit. Une épaisseur allant souvent jusqu’à unir en elle les contraires.
Le casting allie lui aussi les contraires puisqu’il réunit, aux côtés d’acteurs professionnels, des visages repérés lors de castings sauvages, notamment en ce qui concerne ces jeunes adultes des rues, même si certains sont en voie de professionnalisation. Mais la direction d’acteur, l’apport, aussi, de ces jeunes gens riches d’une expérience irremplaçable, ont été suffisamment fins et ajustés pour qu’aucun écart de jeu ne vienne souligner une différence de statut. Ces rôles tenus par des non-professionnels sont d’autant plus essentiels que c’est autour d’eux que va s’opérer un basculement de regard et que les coupables initialement supposés pourront devenir des victimes, voire des alliés. Ainsi, Rudi Rodríguez, en Andrés, Brandon Lopez, en Damian. Des noms, des visages, que l’on espère recroiser dans d’autres œuvres cinématographiques.
Même si certaines scènes essentielles ont lieu de jour, les épisodes nocturnes occupent une très large part, aussi bien cueillis les uns que les autres par la caméra très chatoyante de Roman Kasseroller. Il n’empêche que l’enseignement qui émerge de cette nouvelle réalisation est bien plus sombre et obscur, permettant au spectateur bien protégé d’accéder à une logique reposant sur une binarité simpliste : dans de tels univers, point n’est besoin de morale, il s’agit seulement de savoir qui va être tué : soi ou l’autre. On peut concevoir que la conscience d’un tel enjeu modifie les comportements des uns et des autres.