Ce film était sans doute une de mes plus grosses attentes de 2015, Paul Thomas Anderson restait sur un semi échec avec un "The Master" décevant et j’espérais de mille vœux qu’il retrouve enfin un second souffle pour mettre tout le monde d’accord. Ce projet il m’excitait, bien que n’ayant pas pris le temps de lire le bouquin de Thomas Pynchon, j’en savais donc très peu (et ça n’était pas plus mal) mais je voyais déjà le taux de délire atteindre les sommets, un retour à son univers cool et virevoltant de "Boogie Nights", un parallèle plus ou moins évident au "Big Lebowski" des Coen et pourquoi pas des trips hallucinatoires mode "Las Vegas Parano" de Gilliam … je suis tombé de bien haut.
Car en effet "Inherent Vice" est dans la totale lignée de "The Master", PTA insiste avec cette atmosphère pesante et ce rythme lancinant dans un scénario profondément alambiqué, nous suivons le détective privé baba-cool Doc Sportello qui suite à la visite impromptue de son ex-copine Shasta, se lance à la recherche du riche amant de cette dernière pour une enquête qui le mènera aux quatre coins d’un Los Angeles autant spartiate que nébuleux.
Il semble quasi certain que l’assimilation se fait totalement à partir du personnage principal interprété par Joaquin Phoenix, omniprésent à l’écran, nous invitant aux confins de son esprit embrumé par les vapeurs de marijuana, nous nous perdons, comme lui, au fil de cette investigation et je pense qu’il faut accepter de s’y perdre, de se laisser aller et d’adhérer au trip … Mais le problème c’est que le film dure 2h30 et que l’exercice de style fatigue assez vite, personnellement j’ai commencé à être agacé au bout d’une demi heure, les séquences de dialogues entre quatre yeux s’enchainent entre Doc et un éventail de personnages secondaires, on est dans l’obligation de digérer des tonnes de palabres parfois désordonnées ou absurdes, l’intrigue a un mal de chien a captiver et c’est embêtant, j’ai prié pendant toute la première partie pour que le rythme décolle enfin, qu’une situation vienne remuer tout ça, mais ça n’arrive jamais … apparemment c’est le but, mais ça a du mal à passer.
Enfin il faut bien avouer que le décalage de la mise en scène de Anderson garde ses instants savoureux saupoudrés d’un humour tordu voir impertinent, c’est sans doute ce qui marche le mieux, Phoenix donne tout ce qu’il a, et même si on pourrait lui reprocher un léger excès de cabotinage il endosse parfaitement le rôle de ce type haut en couleur rappelant inéluctablement le Dude et Serpico; à ses côtés divers acteurs lui donnent tour à tour la réplique, de Josh Brolin en flic bourru à l’avocat Benicio Del Torro en passant par la délicieuse Katherine Waterston incarnant son amour passé. Le romantisme mélancolique est présent de part cette période de la fin des sixties et de ses idéaux hippies ainsi que la love story Doc-Shasta où tout est résumé en une séquence (à mon sens la meilleure) : celle du flashback de la carte postale où par cette journée pluvieuse le couple heureux laisse place à un retour au présent résolument terne réimplanté dans un paysage évolutif et expansif, la cité des anges déchus, le début des seventies (Anderson semble aimer ce passage digressif d’une décennie à une autre, propos déjà présent dans "Boogie Nights" pour celui des 70s aux 80s). Et c’est bien souvent à travers ce sentiment de paranoïa ambiant qui parcourt le Doc que le mystère tente de s’éclaircir alors que tout reste inéluctablement dans le brouillard, au final l’enquête ne fait que piétiner, comme nous, on slalome entre les pistes en se bouffant les portes.
La bande son est une nouvelle fois assurée par le génie multi-instrumentiste Jonny Greenwood du groupe Radiohead, faisant corps avec les bribes d’ambiance et les changements de tons tout en respectant la mise en scène résolument pragmatique de PTA, on note aussi les vieilles ballades mélancoliques de Neil Young pour mettre en valeur le côté désenchanté de cette période, car contrairement aux idées reçues ce film est tout sauf rock 'n' roll, dans le sens le plus "péchu" du terme naturellement, c’est avant tout un film brumeux et labyrinthique sur la recrudescence et la réminiscence. La dernière partie est pour le coup plutôt réussie dans ce sens, où la subtilité du propos fonctionne tout à fait, le passage où Big Foot bouffe entièrement l’assiette d’herbe de Sportello, en pleurs, est clairement l’allégorie de cette parenthèse dorée du flower-power qui se clos par la force des institutions républicaines de l’ère Nixon. La fin quant à elle laisse porte ouverte à l’interprétation du destin de cette histoire d’amour qui ne se résume paradoxalement (par rapport à l’aspect boursouflé du contenu global) qu’à un simple choix : la fatalité ou le renouveau, Doc nous invitant dans un ultime regard malicieux à y répondre, ou pas.
"Inherent Vice" reste une déception compte tenu de la proportion de mon attente, à défaut de constater un retour à l’univers "Boogie Nights" j’aurais au moins eu la confirmation que Paul Thomas Anderson a bien amorcé un virage décisif dans sa filmographie avec "The Master" et qu’il est dans cette continuité. Le film garde un fond par moment intéressant mais une forme et un scénario un peu trop bourratif voir ennuyeux, ce qui en dérangera plus d'un. Reverrais-je un jour le réalisateur qui m’a tellement impressionné et enthousiasmé par le passé ? Malheureusement j’ai bien peur que sa destinée dépasse sa fiction, c’est peut être déjà la fin des grandes heures de son cinéma, il rejoindrait tout de même Cronenberg au rayon de mes virtuoses désarçonnés, une place de choix.