A travers le regard ahuri d’un détective privé qui ne cesse de se triturer l’esprit par le spliff, Paul Thomas Anderson singe magnifiquement "Vice Caché" de Thomas Pynchon. Littéral et très bavard, le dernier film du réalisateur américain n’en est pas moins l’œuvre la plus souple, même si exigeante, et la plus intimiste de ce dernier. Souvent adoubé ou critiqué par sa méticulosité et sa proportion à réfléchir ses cadres, quitte à se voir reprocher de vouloir chercher une perfection vaniteuse, Paul Thomas Anderson lâche un peu de lest dans sa partition, s'écarte de la course à la performance, et semble s’amuser dans ce récit à tiroir qui suit ce fameux détective privé aux pensées bien floues et paranoïaques, joué par le non moins fabuleux Joaquim Phoenix, cherchant la trace d’un homme riche dont la compagne semble lui vouloir du tort pour amasser la caillasse.
Sauf que l’affaire prend une toute autre tournure, et s'enfonce alors dans un puzzle policier où la confusion des sensations matérialise les saveurs d’un film fulgurant et mystérieux dans sa linéarité, et qui voit l’enquête partir dans tous les sens malgré un fil rouge compréhensible et facilement décelable par le biais de l’attache que porte ce bon vieux Doc pour son ex, la jeune et jolie, Shasta ; donnant par la suite une scène de sexe sublime de sens dans sa lenteur et sa rugosité. En effet, Inherent Vice trouve sa propre lumière et sa véritable magie dans sa retenue sombre et non dans la folie démonstrative que pouvait avoir un Boogie Nights.
Grâce à un montage en osmose parfaite avec l’atmosphère inquiète et distante qui se dégage d’une direction artistique blufflante de naturel, sous le soleil d’un L.A. aride et de néons nocturnes évocateurs, Inherent Vice acquière sa magie par sa faculté à ne jamais se détacher de son histoire, du fait de la littéralité pugnace du scénario, tout en l’assimilant comme un traitement purement réflexif sous les traits d’un polar s’évaporant à la vitesse de la consommation de leurs joints; devenant alors un stoner movie bordélique et fascinant. Sous nos yeux, coule alors un agglomérat d’une dizaine de personnages secondaires presque invisibles, à l'importance variable, mais tous ancrés dans une réalité imaginaire d'une époque faite de fantômes, peinturlurée de souvenirs fugaces et d’oublis éhontés, de souhaits non réalisés.
Immiscé dans le début des années 70 et sous l'égide d'une BO virtuose, un vent de liberté souffle encore sur une génération aux mœurs parfois légères (cette scène de « broute minou » drolatique ou ce rendez-vous complétement stone avec la sœur du défunt Glenn Charlock) tout en ayant en conscience que Paul Thomas Anderson fragilise cette frivolité qui se désagrège peu à peu, toujours par le biais d’un humour extrêmement bien senti et en total cohérence avec l’esprit du film, que ça soit par les quiproquos entre Doc et une photo de bébé ou un dentiste héroïnomane.
Sur ce coup, Paul Thomas Anderson est génial de simplicité dans son approche, hermétique sans être froid,pour faire naitre des émotions parcellaires, des bribes de fulgurances inoubliables, comme l’envie de revoir sa petite famille, ou par la simple idée d’être dans les bras de la femme qu’on aime, sans bien sûr « se remettre avec elle ».
Sacré Doc.