Chaque seconde d'Innocence transpire le projet de Mamoru Oshii, le réalisateur/scénariste : accoucher de son œuvre ultime, celle où il met tout, jusqu'à l'excès, celle où il s'écorche en hurlant pour cristalliser toutes ses obsessions dans un déluge de beauté aussi insoutenable que l'éclat du soleil. Oshii veut livrer son chef-d’œuvre.
Certains ne l'ont pas suivi à cause de cette mégalomanie apparente, source de certains moments d'artificialité : les dialogues, pourtant exceptionnels, sont parfois plombés par un excès de citations qui semblent provenir de tout le champ culturel humain. L'image, quant à elle, est traversée de fulgurances en images de synthèse qui ne sont pas toujours pertinentes au niveau esthétique... Mais, pour moi, ces quelques défauts n'ont jamais entaché le trip absolu que représente cette suite de Ghost in The Shell.
Contre toute attente, ce film d'animation était sorti à l'époque dans le complexe ciné que je fréquentais. Juste deux semaines. Sortie éclair. Je suis allé le voir deux fois et j'en ai encore des frissons dans les neurones.
Innocence est une expérience sensorielle incroyable, du genre qui survole tout ce qui s'est jamais fait en matière d'animation. Encore aujourd'hui, il a dix ans d'avance en terme de perfection technique et esthétique. Car oui, à l'heure des productions entièrement en synthèse, Oshii dévoile une oeuvre où l'ordinateur ne fait que supporter et non vampiriser le dessin à la main. C'est beau à se prosterner. Jamais auparavant j'avais approché à ce point la divinité sur grand écran. Car la quête de Batou est très semblable à celle du Major Kusanagi, la femme dont il pleure la disparition depuis la fin du premier opus. Qui est-il ? Qu'est-ce que l'Homme ? Qu'est-ce qui est vivant et qui ne l'est pas ? Une fois encore, la Transcendance plane au dessus de la quête d'un cyborg, en un maelström où la beauté picturale rejoint et soutient la puissance thématique et philosophique.
Quelques séquences d'action rondement menées jalonnent une enquête qui mise toutefois plus volontiers sur l'atmosphère et la contemplation. Ce qui s'annonce comme un excellent polar cyberpunk, teinté d'obscurité moite, de couleurs néon et de splendeur crépusculaire vire lentement au pur onirisme. Des ellipses de plus en plus étranges, sans compromettre la compréhension du spectateur, rendent toutefois les choses plus vagues, incertaines. On se retrouve obligé de lâcher prise, peu à peu, et l'on finit inexorablement par sombrer dans une torpeur hallucinatoire qui ne peut laisser personne de marbre.
Le point culminant du film, est sans conteste le passage dans le château de Kim, pur moment de grâce où chaque élément de l'oeuvre atteint son apogée et particulièrement le niveau philosophique qui dévoile la clé de toute la réflexion de Mamoru Oshii depuis le début de sa carrière.
Après cela, malheureusement, Innocence offre une fin beaucoup plus terre-à-terre, peut-être le seul moment de déception véritable en ce qui me concerne. Qu'importe, j'ai erré dans les peurs des Hommes et des dieux, j'ai goûté au néant des poupées de silicium et j'ai écouté les esprits shintoïstes de l'incroyable compositeur Kenji Kawai me guider vers la source de toute vie...