Inside Llewyn Davis par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Nous sommes en 1961 en compagnie de Llewyn Davis que nous suivons dans cette histoire. Ce jeune homme est ce que l'on peut appeler un raté, vivant comme il peut dans Greenwich Village au gré de celles ou ceux qui veulent bien l'accueillir une nuit chez eux. Il se promène avec un chat, "Ulysse" dont il a accepté la garde, son éternelle guitare et une valise contenant son strict nécessaire. Sa passion est bien entendu sa "seiche" qu'il grattouille pour jouer et chanter, lorsqu'il en a vraiment envie, quelques airs de folk gallois qu'il interprète à merveille. Malheureusement son instabilité ne fera pas de lui l'artiste qu'il aurait pu être. Son attitude "détachée", sa dégaine douteuse, son laxisme et de son instabilité maladive lui attire bien des problèmes autant avec ses proches qu'avec d'autres personnes.


Eh oui, le brave Llewyn Davis roule sa bosse et nous le suivons à la trace durant une semaine. Cette période n'est certainement ni mieux ni pire que celles qu'il traverse régulièrement comme un funambule ayant du mal à trouver l'équilibre sur son fil. Il vagabonde dans la grisaille de l'hiver à la recherche d'Ulysse le chat fugueur, demandant l'aumône d'un coin de moquette à des connaissances dont Jean, son ancienne petite amie se disant enceinte de ce pauvre type. Comme les autres elle le déteste. Llewyn n'est pas mieux vu de sa sœur qui l'ignore et l'engueule dès qu'il ouvre la bouche. De temps à autres des occasions de concert se présentent à lui mais il ne les saisit pas, préférant grattouiller la guitare dans une boîte douteuse de Greenwich Village où un type baraqué l'attend régulièrement dans la rue pour lui infliger une correction en règle. Notre pseudo musicien ne se défend même pas.
Il est là apathique. Il est capable de tout et de rien, capable de faire une virée de nuit interminable en voiture aux côtés d'un musicien de Jazz gallois gros mec malade et odieux et de son chauffeur énigmatique. Lorsque l'accueil est chaleureux, mais c'est rare, il trouve le moyen de créer un scandale. Il est comme çà ce type que l'on a envie de plaindre au début et qui finit par agacer. Et pourtant il sait se montrer émouvant lorsqu'il interprète à son père sénile avec sa guitare et de sa plus belle voix la chanson préférée de celui-ci.
Que va devenir Llewyn à l'issue de ce parcours ? Rien de plus, il va rester dans sa médiocrité, il continuera à être un marginal qui aurait peut-être pu exploiter son talent musical sans ce manque d'ambition, d'équilibre et de fierté.


Ce film est certainement l'un des plus beaux réalisé par les frères Coen. Ils nous font partager l'errance de ce curieux personnage qui a tout raté et qui va continuer à vivre dans sa déchéance. Il est fragile Llewyn, aussi triste et morne que la société dans laquelle il évolue, aussi triste que ces images d'hiver grisâtres qui l'entourent, lui sans idéal, mais plein de mauvaise fois, de lâcheté. Il ne semble pas avoir de sentiments, il est encore trop lâche pour cela et c'est pourquoi on en arrive à le détester. Peut-être est-il également à l'image de la société dans laquelle il vit, à l'image de ses connaissances qui ont cependant tout de même le courage de vouloir s'en sortir.
Llewyn est à l'image d'Ulysse, ce chat fugueur, nourri mais toujours indifférant à son entourage. Oscar Isaac est absolument sublime dans son rôle du personnage déroutant de Llewyn Davis. Pourtant c'est un sacré musicien ce bougre et il me ferait bien penser à Pete Seeger ou à Bob Dylan sauf que ceux-ci portaient un message d'espoir contrairement à notre baladin replié sur lui-même. Je note également l'excellente prestation de Carey Mulligan dans le rôle de Jean, cette ex petite amie se disant enceinte de Llewyn et qui n'a pas de noms d'oiseaux assez forts pour le qualifier.


C'est donc un excellent cru que nous offrent Joel et Ethan Coen avec cette œuvre un peu glauque mais captivante en compagnie de ce "perdant viscéral". Grâce à lui et aux musiciens qu'il côtoie, on se laisse porter par de brillantes mélodies nous rappelant l'âge d'or du folk américain qui reste gravé dans nos mémoires au même titre que ce film qui fera très certainement date.


Note: 8/10


Illustrations musicales du film :


https://www.youtube.com/watch?v=0XlRokV6M3w
https://www.youtube.com/watch?v=SQyPVBtLXk0
https://www.youtube.com/watch?v=T9yPd5nQJNc


Liste des récompenses de ce film :



  • Festival de Cannes 2013 : Grand prix (sélection officielle)

  • American Film Institute Awards 2013 : top 10 des meilleurs films de l'année

  • Boston Online Film Critics Association Awards 2013 : meilleure photographie pour Bruno Delbonnel

  • Boston Society of Film Critics Awards 2013 : meilleure utilisation de la musique dans un film

  • Gotham Awards 2013 : meilleur film

  • Houston Film Critics Society Awards 2013 : meilleure chanson originale pour Please Mr. Kennedy

  • Las Vegas Film Critics Society Awards 2013 : meilleure chanson originale pour Please Mr. Kennedy

  • National Board of Review Awards 2013 : meilleur scénario original pour Joel et Ethan Coen

  • New York Film Critics Circle Awards 2013 : meilleure photographie pour Bruno Delbonnel

  • Phoenix Film Critics Society Awards 2013 : meilleur espoir devant la caméra pour Oscar Isaac

  • San Diego Film Critics Society Awards 2013 : meilleur acteur pour Oscar Isaac

  • St. Louis Film Critics Association Awards 2013 : meilleure bande originale pour T-Bone Burnett

  • Toronto Film Critics Association Awards 2013 : meilleur film et meilleur acteur pour Oscar Isaac

  • Village Voice Film Poll 2013 : meilleur film

  • London Film Critics Circle Awards 2014 : scénaristes de l'année pour Joel et Ethan Coen

  • National Society of Film Critics Awards 2014 : meilleur film, meilleur réalisateur pour Joel et Ethan Coen, meilleur acteur pour Oscar Isaac et meilleure photographie pour Bruno Delbonnel

  • Vancouver Film Critics Circle Awards 2014 : meilleur scénario, meilleur acteur pour Oscar Isaac

  • Satellite Awards 2014 : meilleure photographie pour Bruno Delbonnel

Grard-Rocher
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le 27 nov. 2014

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