Vil requin
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Dans Jurassic World, Spielberg et Colin Trevorrow avaient fait du requin de Jaws un amuse-gueule pour dinosaures génétiquement modifiés. Le blockbuster de 2015 adressait par là un dernier clin d'oeil à son ancêtre fondateur, signifiant au (jeune) spectateur que dans la ménagerie numérique du grand parc à dinosaures, la carcasse du monstre des Dents de la mer n'était plus qu'une ridicule friandise, destinée à être capturée sur un smartphone avant de finir sur Instagram. Cette scène résumait quarante ans de surenchère dans le blockbuster estival, dont Jaws avait si limpidement jeté les bases, en 1975. Spielberg et Trevorrow y admettaient les limites de leur propre entreprise : dans la logique du toujours plus grand, l'indominus rex rejetait les monstres du passé dans une préhistoire pathétique. Loin d'être un blockbuster survolté, Jurassic World était, à l'image de son parc dévasté, un cimetière du cinéma industriel américain, un adieu, voilé sous le vernis du fun, à tout ce qui avait autrefois fait sensation au cinéma, du requin de Jaws au T.Rex de Jurassic Parc, lâché comme une antiquité dans le combat final.
La sortie cet été de The Shallows (Instinct de survie, en français) a quelque chose d'anachronique au regard de ce programme terminal. Même si le budget du film reste modeste (17 millions de dollars, soit presque rien en comparaison du coût moyen d'un blockbuster), on se demande ce qui a pu motiver le financement de ce shark movie, sous-genre aux possibilités très restreintes qui n'a engendré, depuis Jaws, qu'une longue série de films Z (le dernier en date étant Sharks 3D). On craint même le pire dès les premières séquences, qui oscillent entre portfolio sexy de Blake Lively (en combinaison de surfeuse) et fenêtre publicitaire de Tripadvisor. Ce prologue entièrement promotionnel semble faire l'éloge des vacances au Mexique, du surf et des dauphins. Mais, avec la même malice que celle d'Alexandra Aja dans Piranhas 3D (2010), Jaume Collet-Serra va brutalement pourrir les vacances de sa surfeuse. L'horreur apparaît sous la forme d'une carcasse de baleine qui pourrit au large – forme dont le personnage ne distingue pas immédiatement la nature cadavérique. L'idée est assez belle : le monstre de Jaws se cache sous une montagne de chair morte, presque un îlot, il se fait attendre. Se dessinent ensuite les enjeux, très simples, de ce survival de plage. Ces enjeux sont strictement spatiaux : blessée par le requin, la surfeuse ne peut plus regagner le rivage, elle ne peut pas davantage se maintenir sur la carcasse instable de la baleine, elle échoue donc sur un récif, qui sera bientôt recouvert par la marée haute.
Voilà donc Blake Lively seule au monde, comme Sandra Bullock dans Gravity. The Shallows est une version dégraissée du film de Cuaron : on y trouve la même expérience du lointain, mais Jaume Collet-Serra n'a pas besoin du silence éternel des espaces infinis pour placer son héroïne aux confins de l'humanité. Toute l'intelligence de sa mise en scène consiste à faire du rivage, pourtant très proche, un lointain inaccessible, un horizon perdu qui fait naître le désespoir. Car l'héroïne de ce survival, comme celle de Gravity, est dotée d'un background tragique (une histoire de deuil) transformant sa survie en négociation existentielle, en réparation secrète, presque en retour au monde. Cette psychologie du deuil n'est sans doute pas ce qu'il y a de meilleur dans le film (elle était déjà très pesante dans Gravity), Jaume Collet-Serra n'étant à l'aise que dans le programme propre au genre du shark movie. Lorsque deux surfeurs se jettent à l'eau, ignorant toute menace, la manière de retarder le surgissement du monstre, de happer brutalement un premier corps et d'en faire disparaître un autre dans le creux d'une vague, témoigne d'une précision, d'un degré de lisibilité quasiment introuvables dans le cinéma d'action contemporain. C'est une loi du survival – celle de la fausse issue – mais elle est ici superbement démontrée.
La comparaison avec Jaws est évidemment écrasante, elle n'a lieu d'être que si l'on revient au compromis génial trouvé autrefois par Spielberg : formule mixte entre cinéma d'exploitation et grand summer movie familial. C'est à cette formule essentielle que s'accroche The Shallows, avec une qualité d'exécution et une malice qui font de ce petit film de genre la réussite la plus inattendue de cet été.
Article consultable sur mon blog ici
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le 24 août 2016
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