Interstellar ou du cochon ?
Christopher Nolan est l’un des cinéastes actuels que j’admire le plus. Mémento est un palpitant thriller et un modèle de montage, Le Prestige m’a beaucoup marqué, Inception a récemment rejoint mon Top 10, sa trilogie sur le Chevalier Noir est pour moi une vraie réussite y compris The Dark Knight Rises qui reste mon seul film vu 4 fois au cinéma. Bref, sans tomber dans la méga-Nolanie (oui, ce mot est presque sujet à contrepet), son cinéma est souvent source de fascination et d’émerveillement.
Autant dire que j’attendais Interstellar de pied ferme. D’autant que le synopsis, les thèmes abordés et la durée promettaient de donner naissance à son film le plus ambitieux jusqu’ici…
Allez, tout comme le film, je tue toute notion de suspense dès le début (cf. partie spoiler) : j’ai été globalement déçu par Interstellar. Le film reste bon mais, en ce qui me concerne, demeure l’un des Nolan les plus faibles.
Pour éviter de te désespérer, toi lecteur, je vais commencer par les points positifs. J’ai apprécié l’aspect anticipation d’Interstellar et le futur dépeint dans lequel le film s’inscrit :
– les tempêtes de poussière récurrentes évoquant la mort qui rôde (« Tu es né poussière et tu redeviendras poussière »)
– le destin funeste de cette génération sans espoir qui ne se tourne plus vers les étoiles mais préfère baisser la tête,
– l’obsolescence de l’ingénierie face à l’agriculture entrainant un retour à un fonctionnement plus élémentaire de l’humanité
– ou encore l’enseignement scolaire des théories conspirationnistes sur la conquête spatiale des années 60.
Tous ces éléments participent à la mise en place d’un univers aussi plausible qu’intéressant.
Le casting est également à la hauteur, comme bien souvent dans les films de Nolan. Mais il n’y a pas que les acteurs qui participent à la qualité d’Interstellar. Les robots qui accompagnent l’expédition sont un autre aspect réussi : leur design est original, ils apportent quelques touches d’humour bienvenues et ont leur utilité dans le film.
Émotionnellement, le film est par moments très puissant (certains le qualifieront d’interstellarmoyant), que ce soit dans les adieux entre un père et sa fille (« Un parent est le fantôme de l’avenir de ses enfants. » J’ai trouvé cette phrase aussi juste que belle) ou une grande période de temps écoulée rattrapée en quelques minutes via des vidéos. Bouleversants. J’ai aussi aimé que le traitement pudique de l’accident du personnage principal contrebalance ce qui pourrait être perçu comme un excès de pathos. Cette émotion est toutefois altérée par quelques effets spéciaux qui ne sont pas à la hauteur (le vieillissement de plus de 20 ans des personnages joués par David Gyasi ou Michael Caine est presque invisible…).
Un autre point fort appréciable du film est la multiplicité des thèmes abordés : la conquête spatiale, le dépassement de soi, la famille, l’amour, la mort, le temps ou encore l’écologie. D’ailleurs, le thème écologique semble être cher au réalisateur vu qu’il recycle son propre cinéma : on retrouve en effet des échos à Inception que ce soit à travers le temps qui s’écoule différemment selon les strates de rêves/les lieux dans lesquels se trouvent les personnages ou une idée visuelle forte (cf. partie de base-ball à la fin du film). Mais Inception n’est pas la seule source d’inspiration. Le film marche sur les traces de Sunshine (ou en anglais «♪ I’m walking on Sunshine, wouhouuu ! ♫») au niveau de l’inspiration visuelle, de la mission sauvetage de la terre, du nom de la première mission (« Icarus/Lazarus », poil à…?) ainsi que d’un personnage qui craque nerveusement au risque de saboter la mission. J’ai plusieurs fois pensé à Gravity pour son traitement novateur du son dans l’espace et ses traversées de l’espace semblant être suspendues dans le temps. Visuellement, Interstellar reste toutefois clairement en-dessous de ces deux derniers films. Ce qui m’a d’ailleurs déçu. En termes d’effets spéciaux, je m’attendais à une belle claque qui n’est jamais venue. Le film accuse un bon retard sur ce plan par rapport à de nombreux concurrents et offre un résultat qui devait déjà être atteignable 10 voire 15 ans en arrière. Pour finir sur les influences, n’ayant vu ni 2001 : l’Odyssée de l’espace, ni Le Trou Noir, ni Contacts ou encore l’Étoffe des héros, je ne pourrais pas me prononcer sur ces quatre-là dont l’empreinte sur Interstellar semble pourtant forte. Les inspirations trop visibles du dernier Nolan en font donc le projet le moins original de son créateur.
Même si l’inspiration n’est donc pas forcément au rendez-vous ici, le réalisateur anglais est connu pour garder beaucoup de mystère autour de ses films. Ce qui garantit bien souvent des surprises dans leur déroulement avec parfois même un petit twist à la clef. Pour Interstellar, l’émerveillement et la surprise sont effectivement du voyage : on est happé par le récit dont les enjeux sont bien présents, le déroulement est original et l’expérience globale est parfois vertigineuse.
Malheureusement, l’épopée n’est pas exempt de quelques fautes de parcours… Alors que j’étais bien embarqué dans l’aventure, la dernière demi-heure m’a fait décrocher. Ce qui arrive au personnage de Matthew McConaughey est vraiment trop invraisemblable. Le film avait jusqu’ici une approche assez scientifique et rationnelle, peut-être est-ce même le cas dans cette dernière partie, mais personnellement, j’ai eu du mal à rester plonger dans l’aventure. C’est à peine plus crédible, même si plus poétique, que le dernier film de Besson où Lucy voyage à sa guise dans le temps et l’espace (Bouuuuuuuh le profane qui compare les torchons et les serviettes !).
C’est d’autant plus décevant de la part d’un auteur qui arrive à me faire croire du début à la fin à une histoire de braquage mental à bord d’un avion impliquant des rêves imbriqués les uns dans les autres comme des poupées russes, le tout de façon très pédagogique.
Par ailleurs, l’exploration des planètes s’avère frustrante à mon goût. Au final, cela se résume grossièrement à la découverte d’un océan pendant 3 minutes avec une vague numérique, un petit tour en Island et puis s’en va. Sans tomber dans le space-opéra façon Star Wars avec voyage de planète en planète à la clef, j’espérais plus de dépaysement et d’émerveillement. D’autant que cette partie s’étire beaucoup pour ce qu’elle a à dire.
Hans Zimmer pond une bande-originale correcte, discrète sur la majorité du film mais assez envahissante à deux moments-clefs du film qui sont émotionnellement puissants. Son travail se rapproche de celui de Thomas Newman (American Beauty ou Les Évadés notamment) avec une forte mise en avant du piano, souvent doux, très loin de la puissance/lourdeur de certaines compositions récentes. S’ajoute à cela une armée d’orgues (donnant un résultat similaire au début de The Host Of Seraphim, entendue dans le film The Mist) collant à l’atmosphère terrestre fataliste et mortuaire du début du film. Il faut attendre environ 2h00 de film avant qu’un thème ne peine à poindre. J’en attendais globalement plus de sa part, surtout au vu de ce qu’il avait su créer pour Inception. Je me repencherai toutefois sur l’album à sa sortie pour confirmer mes impressions.
SPOILERS
Une bonne partie de l’intrigue repose sur « Comment sauver les habitants de la terre ? » qui est le but de toute l’expédition. J’aurais donc aimé en savoir plus qu’un simple « Eureka ! » de la part de Murphy suite à une solution formulée par son père (qui a le même âge que sa fille) en morse via la trotteuse d’une montre par le biais de la 5ème dimension qui revient à regarder une chambre via un kaléidoscope. Et non, je ne me drogue pas. Je veux bien que le film traite notamment des trous dans l’espace mais ce n’est pas une raison pour en mettre dans le script.
J’ai aussi du mal à comprendre comment Cooper a pu parvenir à retourner en vie parmi les terriens…
Par ailleurs, j’ai trouvé maladroit de faire intervenir des fausses reconstitutions de témoignages dès les premières secondes du film. Comme je le disais en début de cette critique, elles tuent toute notion de suspense : on sait d’emblée que les habitants de la terre seront sauvés. Autre effet un peu raté : l’identité du mystérieux « fantôme » de la bibliothèque au début du film. Je l’ai trouvé un peu prévisible et cela m’a fait penser à la nouvelle « Désolé, bon numéro » de Stephen King.
Sinon je me suis demandé si le film allait prendre une direction proche de celle de Prometheus lorsque les personnages évoquent « ceux » qui créent les changements de gravité et que la mission spatiale allait les amener à rencontrer des êtres supérieurs. Mais une fois que l’on sait que c’est Matthew qui influe sur la gravité notamment dans la bibliothèque, est-ce que ça signifie que c’était également lui qui a fait ça pour causer son accident ? Si oui, comment et pourquoi ?
Et puis le trou de ver semblait avoir été positionné sciemment par ces mêmes « eux ». Encore une fois, par qui précisément et comment ?
FIN DE SPOILERS
Un mot sur l’entretien d’une vingtaine de minutes qui a précédé la projection de cette avant-première nationale. Le journaliste a essayé de tirer les vers du nez de Christopher Nolan pour en savoir plus sur Interstellar, notamment sur les thèmes que le film aborde. En vain. Et heureusement. Dans le processus de création du film, le réalisateur a insisté sur l’importance de recréer au maximum les environnements du film plutôt que de les substituer à des fonds verts (George Lucas, si tu nous regardes…). À la question de la définition du cinéma, Nolan a répondu qu’il estime que le 7ème Art tient plus du ressenti que d’un concept à intellectualiser et que des films comme Lawrence d’Arabie, 2001, l’Odyssée de l’Espace ou La Ligne Rouge en seraient de bonnes définitions car ils permettent de ressentir ce qu’aucun autre médium ne peut retranscrire. Quant à savoir comment Interstellar s’intègre dans sa filmographie, il a déclaré avoir toujours été fan de S-F : il a vu Star Wars a 7 ans et 2001, l’Odyssée de l’Espace est dans son Top 10 films. Comme à son habitude, la joie de vivre et le bonheur d’être entouré de fans ne transpiraient pas par tous les pores de son visage.
En conclusion, même si Interstellar est une semi-déception et demeure en-dessous de plusieurs des précédents films de son réalisateur, il reste un voyage qui mérite d’être vécu, surtout au cinéma. Il est prenant, parfois émouvant et même vertigineux. La richesse de son script est bien servie par un casting de qualité. Mais certains aspects restent prévisibles ou frustrants tandis que sa dernière partie risque de laisser quelques spectateurs sur le carreau.