Dans une galaxie lointaine...
En une dizaine d’années, Christopher Nolan est passé du statut de réalisateur à suivre avec Memento, Insomnia et Le prestige à celui de roi du « blockbuster intelligent » avec The Dark Knight et Inception. Une ascension fulgurante et un succès incontestable, lui donnant les moyens de tenter un peu ce qu’il voulait. De quoi se lancer dans cette grande odyssée spatiale qu’il semblait avoir mis de côté un certain temps.
De son aveu, ses inspirations principales sont à chercher du côté du 2001 de Kubrick (on s’en serait douté), de Terrence Malick avec notamment Tree of Life et de L’étoffe des héros de Philip Kaufman, pour son approche réaliste de la conquête spatiale. Pouvoir se permettre un film de 2h50 traitant de la (possible) fin de l’humanité et avec un succès garanti, ça a de quoi faire des jaloux, ce n’est pas Ridley Scott qui dira le contraire. Le petit renouvellement du casting chez Nolan n’est pas déplaisant non plus, avec tout un tas de bons acteurs, il ne reste que Michael Caine qui commence à être assez redondant dans son rôle de figure paternelle bienveillante. A part ça, McConaughey continue sur son excellente lancée actuelle, Anne Hathaway est convaincante (c’est déjà bien), et les acteurs secondaires comme Jessica Chastain et Casey Affleck n’ont rien à se reprocher. Il y a même une belle surprise en cours de film avec un acteur non crédité, façon Seven avec Kevin Spacey dont le nom était absent de l’affiche et du pré-générique pour ne pas que les spectateurs se doutent de qui il était. Bien évidemment dans quelques années tout le monde le saura, mais je vous laisse la surprise.
Comme je disais plus haut, Nolan ambitionne ici de traiter la fin du monde et l’exploration spatiale de façon aussi réaliste de que possible, se basant sur des théories scientifiques pour l’exploration des trous de vers et l’écoulement du temps qui en résulte. Elles ne restent bien sûr que des théories faute de preuves, on se doute du pourquoi, donc il faudra choisir d’y croire pour se plonger dans le film. De même que la fin du monde n’est pas réellement expliquée, d’une part elle a commencé une dizaine d’année avant le film, d’une autre elle n’est pas vraiment achevée puisque les conditions de vie continuent à se dégrader. Ca n’empêche pas ce scénario de faire un peu froid dans le dos par sa crédibilité, entre la surpopulation qui génère un manque de nourriture et les maladies des plantes qui empêchent de cultiver certaines denrées. On découvre dans toute la partie terrienne un côté un peu écolo qu’on ne connaissait pas de Christopher Nolan, qui n’a rien de particulièrement militant mais montre plutôt de façon détachée une issue très possible de nos modes de vies actuels.
Dans ce contexte, Cooper (McConaughey) est recruté pour ses qualités de pilote dans une mission de la dernière chance, ayant pour but de trouver la planète la plus prometteuse parmi une sélection découverte en passant un trou de vers. Les éléments promettant de grands dilemmes tragiques sont tout de suite mis en place avec le fait qu’ils n’auront pas le carburant pour visiter beaucoup de planètes, surtout s’il faut retourner sur Terre en cas d’échec. Les choix seront forcément difficiles à faire, entre considérations pragmatiques, données scientifiques et raisons personnelles. Je ne cacherai pas que tout en étant intrigué par les promesses de ce film, j’avais peur d’une certaine prétention sur le côté scientifique et réaliste annoncé, et l’éventualité d’une fin un peu facile qui provoquerait moult débats.
Finalement, j’ai trouvé l’espace bien mieux exploité dans ce film que ne l’étaient les rêves dans Inception. Le déroulement de l’histoire, les dialogues, les rebondissements apparaissent beaucoup moins mécaniques que dans des deux derniers films, les personnages sont plus denses, plus vivants, au moins on s’attache à eux et à leur destin rapidement. Avec un changement bienvenu de directeur de la photographie (le précédent étant allé se planter en réalisant Transcendence), nous voilà gratifiés de plans assez époustouflants, écrasant leur frêle vaisseau dans l’immensité terrifiante de l’espace. Le genre de plans et de séquences qui évoquent en effet 2001 ou Tree of Life, les hommages ne sont pas cachés ni désagréables. L’exploration des planètes est également un gros point fort visuellement, avec des décors inhospitaliers et grandioses, et des scènes au suspense éprouvant.
Hans Zimmer est avec Michael Caine le seul rescapé des précédents Nolan, et même lui ne vient pas trop gâcher la fête. Il semble s’être inspiré cette fois du compositeur Philip Glass, avec des mélodies plus douces et collant mieux aux thèmes que sont l’exploration et l’inconnu. Il ne résistera tout de même pas à faire péter les watts à quelques reprises, rendant certains passages si tonitruants que ça en devient ridicule. On ne se plaindra pas trop quand même, c’est une agréable surprise comparé à ses compositions récentes, celle de The Amazing Spider-Man 2 étant particulièrement ratée. En fait, le seul vrai reproche que je puisse faire au film, c’est son dénouement. Sans rien en révéler bien sûr, je l’ai trouvé assez décevant au sens qu’il n’est pas à la hauteur de l’ambition déployée tout au long du film. Il y a une certaine rupture de ton et de logique qui dérange un peu, sans que ce soit non plus une catastrophe. Ce serait de toute façon une erreur de s’appesantir lourdement là-dessus comme si ça annulait tout ce qu’il y avait eu de bien pendant les deux heures trente qui précédaient.
Un autre point sur lequel je tenais à revenir est celui de l’humour, qui n’est rarement mis en avant chez le réalisateur, plutôt connu pour être sérieux. Aussi étonnant que cela puisse paraître, son film le plus déprimant est aussi celui qui contient le plus d’humour, souvent un peu noir, grâce aux robots du vaisseau. Difficile là aussi de ne pas penser à 2001 avec son mythique HAL, mais la référence est assumée et les robots du film ont une vraie personnalité. Cet humour est d’autant plus bienvenu qu’il évite une ambiance trop plombante sous prétexte de sérieux, et qu’il me semble tout à fait réaliste de la part de personnes effectuant un tel travail, pour évacuer la pression.
De façon générale il ne faut pas y aller en s’attendant à un scénario millimétré et des twists qui font débat pendant des années, on est plus dans la grande aventure spatiale à la fois grandiose et terrifiante, avec une histoire somme toute assez simple. Il est certain que les théories développées et certains passages relativement complexes vont faire parler, mais ce n’est pas l’intérêt premier du film. Comme l’a déclaré Nolan, il a voulu proposer une expérience cinématographique totale, en même temps que son œuvre la plus humaniste. Un pari en grande partie réussi, et de quoi espérer qu’il se lâche encore plus sur ses prochains films, sans peur de déboussoler un peu son public.