De la poussière et du maïs, des drones et de l’affection, voilà ce qu’il nous reste pour affronter l’Apocalypse. La Terre se meurt, les hommes se meurent, les souvenirs se meurent. Il faut partir, et même s’enfuir, conquérir un nouveau monde qu’une faille récemment découverte dans l’espace-temps (un trou de ver) rend soudain imaginable, infiniment concret. Mission renaissance de Lazare et de hasard pour quatre explorateurs propulsés dans une autre galaxie, néo-fondateurs d’une néo-humanité devenue primordiale. Sujet colossal puissance un trillion à consonances écolo-philanthropiques, presque trop grand pour un seul homme, trop grand en tout cas pour Christopher Nolan et son petit frère qui, depuis Inception et la trilogie Dark knight, ne savent plus vraiment faire dans la nuance (Memento) ni dans l’humilité (Le prestige).

Nolan n’est évidemment pas un amateur. C’est juste qu’il a l’émoi lourd. Ambitieux, esthète hors pair, mais lourd. Interstellar est éblouissant, mais lourd. Il y a des images qui saisissent par leur évidente splendeur (les grandes vagues déferlantes, le trou noir Gargantua, la station Endurance flottant dans l’éclat de Saturne, l’architecture atemporelle convoquant théorie des cordes, Vasarely et Reutersvärd…), des scènes d’une simplicité infernale (modulations de la Nature qui résonnent dans la mesure du vide…) ou d’une émotion qui vous chamboule pire que deux cents rotations à la minute (quelques heures qui deviennent des décennies et qu’il faut rattraper, en larmes, par messages vidéo interposés…), et un design old school surprenant, voire à contre-courant (robots en forme de monolithe amovible, vaisseaux anti-futuristes aux intérieurs un peu revêches, un peu usés…).

Brefs instants de félicité, bouche bée, qui ne suffisent pas à inverser la pesanteur du film (un comble pour une super-production qui cherche à sérieusement tutoyer les étoiles, mais dans le genre pesant, c’est Gravity qui remporte la mise). Alternant jargon scientifique fumeux (espace, gravité, dimensions, temps…), sentences assénées (sur la vie, sur l’amour, sur la famille), grandes pompes et humour déplacé, Interstellar sillonne comme il peut à travers les écueils d’un scénario boursouflé en forme de ruban de Möbius (je est "ils") pour révéler, après trois heures super mastoc, sa véritable quintessence via des relations père/fille (Cooper et Murphy, Brand et Amelia) schématiques et frustrantes (papa m’a abandonné, papa m’a berné) : quintessence de l’amour plus fort que tout (la fin d’Abyss, elle aussi, n’envisageait pas d’autre hypothèse), valeur sûre transcendant le cosmos et les années-lumière (et la mémoire dans Memento, et les rêves dans Inception) à même de sauver nos âmes perdues et nos corps à l’agonie, insignifiants dans les hyper-possibles de l’univers.

Et puis Interstellar est trop long, trop orgueilleux. Qu’apporte donc cette escale sur la planète Mann avec un Matt Damon vitreux dévoré par un grotesque instinct de survie, sinon traficoter un simili suspens totalement inutile sur plus d’une demi-heure pour majorer la durée du film et, par celle-ci, prétendre à un soi-disant parangon de l’épique (Interstellar aurait sans doute gagné en rigueur et en majesté à se la jouer un poil plus modeste) ? Pourquoi ces fins à rallonge dont on ne sait plus que faire et ne plus comprendre grand-chose ("Eurêka" pour quoi, déjà ?), ces exégèses simplistes et ces raccourcis arrangeants (dans le dénouement surtout) qui altèrent la relative crédibilité que tente d’imposer Nolan tout au long de son labeur ?

Et toujours cette musique ronflante, omniprésente, de Hans Zimmer (avec une levée d’orgues à la Zarathoustra) qui gronde et insiste là où il faut gronder et insister quand ce n’est absolument pas nécessaire (de gronder et d’insister). Et toujours ce sentimentalisme béat et solennel (nolanien ?) qui rompt l’ampleur intime, affective, et même faramineuse, de la manœuvre… La vraie question d’Interstellar n’est finalement pas de savoir si l’amour est soluble dans le champ quantique ou s’il sera un jour envisageable de coloniser l’inconnu pour s’y sentir mieux, mais bien de réaliser un film de science-fiction novateur de A à Z qui saura dépasser enfin les innombrables références (2001 et Solaris en pièces de musée éternelles, indestructibles, inoxydables…), édicter ses propres jalons, ses propres mystères et, soyons fous, graver sa propre mythologie.
mymp
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le 11 nov. 2014

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