Il est des séances à marquer d’une pierre blanche ; celles qui changent notre manière de voir, de penser ou d’agir et nous laissent le cœur gros comme un cratère lunaire. C’était un soir de novembre 2014, journée a priori ordinaire avant que Nolan n’y injecte un peu de lumière. Car INTERSTELLAR, c’est beaucoup de choses et surtout beaucoup de nous. Il est d’autant plus émouvant de se souvenir de cette étrange sensation qui nous envahissait en sortant de la salle. Une sorte de flottement qui se voulait interminable, bercé par les notes bouleversantes de Hans Zimmer, le cœur encore paralysé par ce qu'on venait de voir.


On baisse les yeux, alors inquiets de notre place dans la poussière. Puis on s'étonne ensuite de la grandeur de l'univers ; de ces exoplanètes à ces trous de ver, de ces trous noirs à cet inconnu dans lequel on se perd. La mélodie, répétitive, entêtante et déchirante, sonne comme un battement de cœur au milieu d'un Tout qui nous échappe. Dans cette symphonie composée à l’aveugle (ou presque), tout y passe : les émotions, les sensations, ce sentiment de spleen, de perte, d'éloignement ou de désespoir qui nous étreint le temps d’une Odyssée aussi mythologique que cosmique. Il y a quelque chose de grandiose dans cette manière de mettre en scène l’intime confronté à la béance de l'espace ; un espace à combler, à humaniser et à spectaculariser. INTERSTELLAR épouse ainsi parfaitement les formes d’une « science-fiction » dans la mesure où il se veut scientifiquement réaliste (le physicien Kip Thorne ayant été consultant sur le film) tout en invitant à un voyage au-delà du réel ; dans une bibliothèque de souvenirs où le temps est aussi malléable que nos émotions.


Approchant la mélancolie de Solaris sans jamais se risquer à basculer dans un cinéma essentiellement sensoriel, INTERSTELLAR opte ainsi pour le « Blockbuster cérébral », un voyage empreint de la sobriété visuelle d’un 2001 : L’Odyssée de l’Espace, le sens de la pédagogie en plus. Puisque Nolan construit un univers graphique à la fois glaçant et monumental, d’eau, de glace et de vide (telles les toiles romantiques de Caspar David Friedrich) où la déshumanisation est de mise. Mais dans cette œuvre de frontières, c’est pourtant bien l’humain qui est au centre du tableau : INTERSTELLAR se fait le relai de cette foi mystérieuse qui nous habite, nous permettant de conquérir l’impossible, de décrocher la lune ou de défier les étoiles ; qu’importe notre petitesse dans cette immensité. Le personnage de Matthew McConaughey est ainsi construit comme un héros fordien dans la mesure où il est toujours représenté dans sa relation au paysage naturel – des champs de maïs « poussiéreux » aux planètes hostiles d’un autre univers – et sa détermination n’a d’égale que son humanité et sa résolution à agir toujours en fonction de la morale.


Odyssée fordienne où l’humain passe avant tout le reste, INTERSTELLAR apparaît néanmoins comme une œuvre tournée vers l’infini. Et pourtant, face à la grandiloquence visuelle de cet au-delà, l’extérieur se pénètre pour mieux révéler l’intériorité des êtres (à l’instar d’Ad Astra cette année) ; une œuvre de « In » comme l’étaient déjà Inception ou Insomnia. L’émotion afflue ainsi bien souvent dans de simples champ-contrechamps où les relations familiales se tissent, se pleurent et envahissent le cadre. Tout revient à la famille dans INTERSTELLAR ; au poids du sacrifice, à l’ombre du rêve et à ce temps qui se perd plus qu’il ne se rattrape. Nolan altère ainsi le temps pour mieux en extraire un sentiment absolu : l’amour, ce lien inaltérable qui traverse le temps sans jamais dériver de sa trajectoire. Puisque nous sommes que peu de choses sans les liens qui nous unissent, sans les mystères qui nous relient et sans les aspirations communes qui nous poussent à plonger dans l'inconnu.


Dans cette singulière histoire d’espace-temps, Nolan conte la mort de l’humanité et sa résurrection. On y trouve peut-être là l’espoir nécessaire pour croire encore en notre avenir : au fin fond de l’univers, l’humain, encore et toujours. C’est pourquoi INTERSTELLAR est si beau et si universel. On en sort bouche bée, le corps figé, les yeux dirigés vers les étoiles. Une secousse émotionnelle sans pareil où notre souffle se coupe tant l’immersion spatiale est totale. D’un lyrisme à faire trembler le cosmos, INTERSTELLAR est cette équation aux multiples inconnues si maîtrisée qu’elle en devient intelligible. L’élégie résonne encore au-dessus de nos têtes. L’entendez-vous ? C’est Nolan qui nous invite à lever les yeux au ciel.


Critique à lire également sur mon Blog
Extrait dans l'article "Les 100 films à retenir des années 2010"

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le 9 févr. 2020

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blacktide

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