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Le film s'ouvre sur un monde post-apocalyptique magnifié par une musique nostalgique, romantique. Je me laisse happer par l'histoire, son rythme lent, sa poésie ; tous les éléments du récit entrent en synergie ; la poussière, les champs qui s'étendent à l'infini, l'amour filial, la mélancolie, la débrouillardise, la science transmise de père en fille. Le charme de McConaughey et celui de Mackenzie Foy me font presque oublier qu'ils jouent des rôles stéréotypés au possible. Aveuglé par ma bonne foi, je ne cherche pas d'explications, je me laisse porter, je me surprend à prêter une attention sincère aux petites aventures quotidiennes de la famille.
Mais la partie post-apo du film ne dure que vingt minutes ... Au moment où l'ambiance commence à me pénétrer, le film prend une tournure plus spatiale. Je suis un peu dérouté par ce changement soudain.
Les péripéties de nos héros sont entrecoupées d'explications scientifiques, Nolan lorgnant apparemment vers la hard -SF. C'est dommage, Nolan n'avait pas besoin de se justifier sans cesse, il pouvait simplement assumer ses fantasmes astrophysiques sans se lancer dans des explications parfois fumeuses qui décrédibilisent le film, qui du reste contient quelques invraisemblances scientifiques, comme tout film de SF.

Je pense par exemple au moment où Cooper visite l'intérieur du trou noir, et se balade dans un pseudo-tesseract (il s'agit d'une modélisation de tesseract en trois dimension, afin que Cooper puisse l'appréhender). La scène est visuellement imposante, il n'était pas nécessaire de l'accompagner d'un cours para-physique, il suffisait de laisser le spectateur profiter, rêver.
Il n'était pas nécessaire non plus d'expliquer oralement que Cooper communique des informations à sa fille dans cette scène, ça va, je vois bien ce qu'il se passe sous mes yeux ... Désagréable impression d'être pris pour un imbécile.

Autre déception : le message du film est finalement flou. Le début du voyage spatial est une invitation à affronter la réalité, à ne pas se laisser bercer par des illusions mielleuses jusqu'à s'endormir ; les héros prennent littéralement l'avenir de l'humanité en main. Cooper raisonne froidement et n'écoute pas les discours vaporeux de Brand sur l'amour en tant que substance physique universelle transcendant à l'espace et au temps, reliant les êtres humains et donnant du sens à l'univers. Non, l'univers se fiche bien de ces considérations anthropocentriques, l'humanité, tout comme l'humain, arrivera à survivre grâce à la force de son intelligence, ou disparaîtra à jamais.
Mais, vers la fin, Interstellar fait volte-face ; l'amour est finalement bien la clé, Brand ne se trompait pas de planète, Cooper rentre docilement dans la nuit du trou noir, il est miraculeusement sauvé par les êtres du futur puis par sa fille. Ce revirement m'a laissé sceptique. Certaines personnes pensent que Cooper meurt dans le trou noir et que la troisième partie n'est qu'une série d'hallucinations (le docteur Mann parle plus tôt dans le film des expériences proches de la mort). J'ai pour ma part un peu de mal à croire que Cooper mourant imaginerait sa fille vieille alors qu'il ne l'a jamais vue ainsi. Quoiqu'il en soit, je sais que les cinéphiles, en général, aiment les films qui laissent une grande liberté d'interprétation, pour ma part je préfère quand un artiste se mouille.

Remarques :

  • La base de la NASA telle que l'on peut l'observer dans la troisième partie du film est un joli cylindre O'Neill écologiquement stable. Petite info pour les intéressés : nous avons réellement essayé de construire un système clos écologiquement stable au milieu du désert de l'Arizona dans les années 90 appelé Biosphère II. Ce fut un échec car nous n'arrivions pas à renouveler l'air assez vite.

  • A l'adresse des personnes ayant lu ma critique sur l'armée des 12 singes : Dans Interstellar, Nolan opte aussi pour la 4ème option, celle de la boucle immuable, ou boucle causale autocohérente. Le pseudo-tesseract "hors de l'univers usuel" (et donc hors du temps usuel) n'ajoute rien au concept standard de la boucle causale autocohérente, si ce n'est une "explication", une "description" du voyage temporel, qui nous change de l'habituelle machine mystérieuse. Cooper tel qu'il est lorsqu'il entre dans le pseudo-tesseract est l'aboutissement de ce qu'il s'est passé dans l'univers usuel, d'ailleurs sa présence dans le pseudo-tesseract est la conséquence de son entrée dans le trou noir. En outre, ce qui se déroule au sein du tesseract impacte sur le monde : Cooper dans le tesseract n'est pas un spectateur extérieur à l'univers usuel (comme le serait un démon de Laplace capable de prédire le futur par exemple) qui ne peut pas influer sur ce qu'il voit ; il y a donc un deuxième lien cause-conséquence, cette fois du tesseract vers l'univers usuel ; et au final, on a bien une chaîne de causalité qui boucle. La cohérence de cette boucle est assez bien justifiée par l'emprise émotionnelle de Cooper dans le tesseract, et par le fait que la bibliothèque filtre peu d'informations (seules les informations que Cooper veut faire parvenir à sa fille sous forme de 0 et de 1 passent du tesseract vers l'univers usuel, donc le Cooper du tesseract ne perturbe pas trop l'univers usuel) ... et par la bonne volonté du héros, car on en revient toujours au même paradoxe ; seules les personnes de bonne volonté peuvent utiliser les boucles causales autocohérentes, ce qui me laisse toujours perplexe.

Chanclissard
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le 28 juin 2015

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Chanclissard

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