Je vais vous demander de faire une expérience de pensée, et d’imaginer que le film se termine cinq minutes plus tôt, au moment exact ou l’avion s’envole avec Kat.
On obtiendrait un film aigre-doux et délicat. Un film qui parle d’une famille déchirée, d’une famille dont chacun des membres est étranger à tous les autres. En cherchant bien, on aurait presque pu trouver, au fond de ces quatre vingt dix minutes bercées par une New-Wave nonchalante, les alluvions d’un cinéma Nouvelle-Vague. Le film aurait présenté un exemple intéressant de rumeur infondée comme il en abonde dans certaines campagnes et banlieues reculées, et nous aurait montré comme nos bêtes superstitions peuvent nous faire croire n’importe quoi (Kat aurait sur-interprété ses rêves). Le film aurait courageusement traité de la question de la dépression sexuelle à travers les exemples de Phil et du père (eh bah non, ils étaient juste homo … en fait, je ne crois pas qu’il y ait dans la filmographie d’Araki un seul personnage sexuellement faillible). Et surtout, en laissant incertain le sort de la mère, ce film nous aurait laissé en bouche cet étrange arrière-goût, ce mélange d’angoisse et de nostalgie que connaissent bien ceux qui sont privés de la présence d’un être aimé. Je vous invite aussi à considérer la dimension tragique qu’aurait eu le personnage du père, qui aurait alors été injustement soupçonné par sa fille adorée. Enfin, ce film, en évitant l’écueil du fait divers, aurait eu une bien plus grande portée.
J’y ai presque cru, au moment où la fille tombe sur des pizzas surgelées en ouvrant le congélo du sous-sol. Mais non.
Au lieu de ça, Araki a opté pour un dénouement pompier, spectaculaire. Un dénouement à moitié prévisible, voire complètement prévisible pour qui connaît le réal et sait que la moitié de ses personnages sont gays ou bi (un seul, c’était louche). Bien dommage que cette fin soit prévisible, d’ailleurs, puisqu’Akari avait à portée de main une chute plus subtile (la fin que je propose).
Eh oui, on passe en cinq minutes d’un film fort et profond à un film qui ne porte presque plus aucun message.
Certes, le côté un peu "délirant" d'Araki n'a pas toujours été vain, autrefois au service de fausses parodies grinçantes, et plus récemment utilisé dans un contexte plus léger avec Kaboom (que j’ai apprécié au contraire de celui-ci puisqu’il s’assumait comme une comédie), mais ici ça n'est pas cohérent avec le reste, et je trouve ça dommage de saborder tout ce travail sur l’ambiance, cette reconstitution d’un sentiment fragile et difficile à cerner, au profit d’un bon gros rebondissement gras et facile.
En fait, en cinq minutes, le film tombe dans l’American-beautisme le plus primaire. Les deux films se ressemblent d’ailleurs étrangement, je soupçonne Araki d’avoir maté American Beauty et de s’être écrié, à la fin « Hey, mais ce serait beaucoup plus fun si le père de famille couchait vraiment avec le boy next door. » Ils sont aussi pavillonnaires l’un que l’autre, aussi adolescents et poussifs l’un que l’autre. La morale du dénouement est la même dans les deux cas : refouler son homosexualité, c’est pas une très très bonne idée. Enfin, ils se veulent corrosifs, mais ne dépassent jamais le degré zéro de la dénonciation. M’enfin, peut-être que ce qui pour moi paraît évident ne l’est pas pour tout le monde, peut-être que certaines personnes, en regardant l’un de ces films, auront une révélation soudaine, et découvriront avec stupeur que routine éreintante va rarement de pair avec vie exaltante.
Finissons quand même par remarquer la présence, dans les dialogues, de quelques traits d’esprits amusants ; comme Kat qui dit en parlant de Phil, « you scratch the surface, and there’s just more surface », même si je trouve que cette vanne s’applique parfaitement au film.