Nos vies, si chères
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Phénomène à la fin de la décennie 2000, Into the Wild était avant tout ce qu'on en a fait la confirmation du talent de metteur en scène de Sean Penn, après The Indian Runner et le troublant The Pledge. Derrière les allures de film de hippie, vendu, soutenu et défendable comme tel, se trouve un produit plus ambivalent. Le héros tient autant d'un héritage vulgaire de Thoreau que d'une espèce de nihilisme commençant à ensorceler sa génération et un Occident fatigué de lui-même. Cette aventure de Christopher McCandless a bien existé et était déjà rapportée par Voyage au bout de la solitude, biographie rédigée en 1996, quatre ans après les faits.
Le Christopher à l'écran est probablement un petit con comme l'ont souligné abondamment ses détracteurs, aux provenances et arguments parfois ironiques ; mais lui agit, pour son idéal certes chimérique ou aberrant, en cherchant une alternative souveraine, quoique sa positivité apparaisse étriquée – et existant essentiellement dans le chemin vers la solution. Il est respectable parce que conséquent ; il ne se contente pas de parler, il est consistant. Par ailleurs sa démarche est cohérente, au point qu'il en crève et que ses vices et vertus sont données à voir avec précision. De plus ce jeune homme n'est pas dans un élan totalitaire : il est critique mais laisse vivre les autres. Ses perspectives demeurent immatures (cette inanité permet justement de ne pas entamer ce qui le précède et l'entoure), ses dénigrements sont aveugles et sans nuance (la charge contre ses parents est absurde, en plus de poser son caractère déloyal).
Le regard porté par Penn semble accaparé par une empathie sans restriction pour le héros. Il épouse globalement son point de vue, tend à sanctifier la démarche ou du moins le personnage, par exemple par la voix off de la sœur de Christopher. Néanmoins cette emphase opère à distance (Christopher ne participe pas au contact avec le spectateur, est introduit) et est compromise par les développements et finalement même par tous les éléments venant se greffer à la poursuite de Christopher. Bien avant l'issue tragique, l'échec est mis en évidence et notamment sur le plan humain. Les leçons de morale et les incitations du petit con lumineux sont en contradiction non avec son système mais bien avec son attitude. La faille du film est là, où Penn semble couvrir son héros, admettant son échec mais défendant son charisme et les effets bénéfiques de sa volonté futile (au vieux qu'il booste et pousse au voyage, à cette fille de 16 ans dont la proposition trouve pour réponse « prends ce que tu veux » pendant qu'il esquive).
Pendant qu'il parle de son projet en Alaska, Christopher accumule les rencontres, souvent heureuses ; l'important, c'était ça, nous glisse-t-on. Illuminé par son dessein, Christopher estime, peut-être à raison dans une large mesure, que les rapports sociaux sont des pièges ou plutôt des mensonges. Or il a été échaudé par bien peu de choses (quand bien même Penn cherche à émouvoir avec ces flash back) et il se ferme à des démentis cinglants mais surtout régénérateurs. La scène la plus bouleversante est de cet ordre, où Christopher ne réalise pas sa dureté et l'iniquité de son comportement face à Ron, qui voudrait l'adopter. Tout au long du film, il dénie la richesse émotionnelle sous ses yeux, refuse l'authenticité présente, au profit de sa quête définie. Caprice réfléchi et se donnant les moyens (sa famille est toujours vivante, il était bon élève, intégré et avec des opportunités sociales puissantes et larges), son idéal pur est voisin de la tentation du néant, en tout cas il y conduit.
En ce sens McCandless est l'ultime maillon d'une chaîne de saboteurs accablant la société hypocrite (avec ses règles, blabla) qu'il ne cite que pour la condamner en sentences éclairs, où en fait elle existe à peine (peut-être comme mot couvrant ce qu'il croyait être un jouet et ne tient pas ses promesses). Sa cohérence est morbide. Il est logique qu'elle irrite les planqués de ce monde, tous les excentriques adaptés, les bougons mondains, les gauchistes intempestifs sérieux ou encore les anarcho-mystiques de salon. Mais l'émancipation de Christopher tourne à vide, son élan remarquable est rapidement corrompu ; il est même destiné à la nullité dès la racine puisqu'inspiré par aucune nécessité, poussé par l'ennui et une passion vaine de liberté, alimenté par aucune intuition constructive. Cet individualisme absolutiste rétrécit l'objet sur lequel il se greffe, finalement l'ignore tout à fait : c'est une fuite réelle mais droit dans l'extinction. Autonomisation biaisée ; à chacun d'apprécier la beauté du geste, celle des paysages ou encore de toutes ces mains tendant des alternatives concrètes et vivantes.
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le 26 août 2015
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