⚠️ Une maintenance est prévue ce Mercredi 4 décembre de 9h00 à 13h. Le site sera inacessible pendant cette période.

Intolérance ne peut pas effacer les stigmates de Naissance d’une nation, mais il permet une ébauche d’apaisement, une certaine forme de réconciliation.
Alors qu’il avait tout misé sur l’Histoire –clivée – de son pays, Griffith ambitionne désormais celle de l’humanité toute entière.


Fresque démesurée, Intolérance se construit en quatre récits alternés sur des époques différentes (le temps présent, la vie du Christ, l’effondrement de Babylone et la St Bartélémy), et visant à la même démonstration : l’éternel combat de l’amour contre les forces les plus noires de l’humanité.


Formellement, le film pousse plus loin encore ce qui avait été expérimenté pour Naissance d’une Nation. Le montage est bien entendu la clé de voute de l’édifice : les passerelles sont multiples, d’abord thématiques, et d’un pessimisme assez généralisé quant à la marche d’un monde qui ne semble tirer aucune leçon de l’histoire, répétant les mêmes exactions.


En transition des différentes sections, une femme poussant tendrement un berceau, métaphore iconique d’une humanité fragile. L’intérêt de la construction réside aussi dans sa progression, les différentes périodes de l’histoire n’étant pas totalement équilibrées dans leur traitement (Babylone et le temps présent, soit les deux extrêmes en termes de chronologie, sont bien plus représentés) : à mesure que le récit avance, le temps accordé à chaque segment diminue, dans un rythme de plus en plus tendu et convergeant. Admirable confiance accordée au spectateur : Griffith table en effet sur sa capacité à se familiariser à ce nouveau langage qu’est le montage, et navigue avec de plus en plus de fluidité entre les différentes périodes, ménageant de superbes transitions, comme cette cavalcade babylonienne à laquelle succède, dans un même mouvement, la course folle d’une locomotive.


Intolérance est aussi un jalon dans l’histoire par la folie des grandeurs qui le caractérise. Alors que le drame romantique, jusqu’à la fin du XIXème siècle, a atteint les limites de la représentation théâtrale (des pièces impossibles à mettre en scène, comme Cromwell, ou très ambitieuses, comme Cyrano de Bergerac), l’opéra comme art total est devenu le lieu de la mégalomanie, avant que le cinéma – pourtant ici muet – ne prenne le relais. Griffith est l’un des pionniers sur ce registre, et sa reconstitution de Babylone, ses décors démesurés et ses milliers de figurants érigent un monument certes de toc, mais qui n’en reste pas moins mémorable.


Sa gestion des foules, l’ouverture des lourdes portes, les destructions par assauts contre les murailles ou l’irruption des envahisseurs à cheval sont autant de morceaux de bravoure admirablement dirigés et découpés. D’autant que ces scènes de violence signent la fin d’une civilisation dont il avait au préalable admirablement dessiné les contours, lors de festins, de danses et de portraits féminins à la lascivité exotique tout à fait savoureuse.


Un des grands paradoxes, une des grandes failles du XXème siècle se joue ici, alors que la première guerre mondiale a commencé : l’œuvre somme, construite avec ambition et un enthousiasme démesuré, traite surtout de la destruction, du chaos et de la fin de plusieurs mondes. Le pessimisme généralisé (la quasi-totalité des individus qui donnent une échelle intime aux périodes qu’ils représentent finissent par mourir, sacrifiés par l’Histoire) ménage cependant une lueur d’espoir dans la résolution du récit contemporain.


L’historien Griffith ne tourne donc les pages sanglantes du passé que pour y opposer la seule salvation possible, celle de l’amour des êtres. Alors que les canons tonnent sur l’Europe entière, il redonne à l’art sa mission première, susceptible de corriger certaines des erreurs de Naissance d’une nation : opposer à la laideur du réel l’élan possible de l’utopie.

Sergent_Pepper
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Politique, Historique, Muet, Les meilleurs films sur l'humanité et Les meilleurs films sur la religion

Créée

le 10 oct. 2017

Critique lue 1.3K fois

22 j'aime

2 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.3K fois

22
2

D'autres avis sur Intolérance

Intolérance
Star-Lord09
8

Polémiques, hiérarchies et Wachowski

POLÉMIQUES Lorsque Eisenstein pose un genou à terre en invoquant l'impact foudroyant de la grammaire cinématographique de Griffith, on aurait tendance à l'écouter très attentivement. Sens du cadre,...

le 9 août 2018

23 j'aime

13

Intolérance
Sergent_Pepper
8

Mankind of tragic

Intolérance ne peut pas effacer les stigmates de Naissance d’une nation, mais il permet une ébauche d’apaisement, une certaine forme de réconciliation. Alors qu’il avait tout misé sur l’Histoire...

le 10 oct. 2017

22 j'aime

2

Intolérance
Fatpooper
5

Le cinéma rancunier

Vieux film de caca, va ! Je t'en veux parce que comme t'es célèbre on est obligé de te voir. Et purée, il faut se taper plus de 3h de film quand même ! L'équivalent de 3 Boetticher ! L'équivalent de...

le 27 févr. 2017

8 j'aime

9

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

618 j'aime

53