Je connais très peu les films de Shimizu et celui-ci film s'est révélé une vraie bonne surprise.
Il commence comme un found-footage assez banal, puis d'un seul coup ajoute un nouveau point de vue. A l'absence de mise en scène du début il en substitue une posée, avec une image à la texture très différente, des plans larges, de l'espace dans le cadre où le fantastique peut venir se loger. Pendant cette ouverture, il va continuer à alterner le found-footage quand on est serré sur les personnages et mise en scène traditionnelle dès qu'on élargit le champ. Comme si les personnages en question appartenaient à ce genre du found-footage et qu'ils entraient en contact avec autre chose.
Il y a une tension entre immersion, immédiateté et cinéma d'horreur "à l'ancienne" qui se joue. Le premier plan cinéma qu'on voit est un plan large nocturne et brumeux qui évoque immédiatement le cinéma fantastique, non pas une réalité mais un univers fictionnel. On sent dans l'éclairage, le décor, la brume qu'on cherche à nous emmener ailleurs.
Le film paraît d'ailleurs réfléchir la question de la représentation. Plusieurs moments renvoient au dispositif cinématographique lui même. Il y a une séquence de projection d'un film 8mm qui nous raconte le passé du village d'Inunaki (il a été englouti suite à la construction d'un barrage). Ces images nous montrent sa véritable histoire, mais cette vérité est perçue grâce à une projection, accompagnée du témoignage de celui qui a filmé les images (et qui est un fantôme). On est à l'opposé du début du film où l'image se veut seulement immersive et parlant pour elle même. À un moment, l'héroïne se lève et se met contre le mur où l'image est projetée. La projection se fait alors sur son chemisier. Les fantômes d'Inunaki s'échappent de l'écran, donc d'elle. Cette bobine 8mm est le passé d'Inunaki mais aussi le passé de l'héroïne. Sa grand-mère est née dans le village. En refusant de regarder le film (ce qui la pousse à se lever et tourner le dos à la projection) elle refuse de regarder son histoire en face. Lorsque les fantômes sortent d'elle, c'est son histoire qui sort d'elle à son corps défendant.
Le verbe "Regarder" est plusieurs fois prononcée et Kanata (la jeune femme en question) refuse de le faire pendant toute une partie du film, que ce soit son passé mais aussi les fantômes qui lui apparaissent.


La dernière partie du film se passe dans le village d'Inunaki. C'est en fait un voyage dans le temps. Kanata se trouve à Inunaki dans les années 40, juste avant qu'il soit englouti. Elle vient accompagnée du fantôme du caméraman de la bobine 8mm pour libérér ses deux frères. Kanata et le cameraman vont faire deux choses, libérer les frères et sauver un bébé qui vient de naître pour l'emporter hors du village. Il n'y a pas de malédiction à vaincre. Il n'y a pas vraiment de monstre à affronter non plus, même s'il y a une créature monstrueuse. Mais cette créature est une mère apeurée et enragée parce qu'elle doit accepter de laisser partir son bébé alors qu'il vient de naître.
Une fois que Kanata accomplit cela, elle se réveille à côté de la maison de son grand-père maternel. Et au même moment mais 80 ans plus tôt, le bébé en question se retrouve devant la même maison. Kanata a sauvé sa grand-mère, et permis à sa lignée d'exister. On peut trouver forcée ou tirée par les cheveux cette boucle temporelle mais elle est intéressante parce qu'elle conclut ce que la projection 8mm ouvrait. C'est en affrontant son passé, en le regardant en face, et en acceptant sa vraie nature que Kanata peut avancer et clore une boucle entamée des décennies plus tôt. Ce détour par le passé sert à parler de cela, la nécessité de se confronter à ses origines pour exister pleinement. Ce qui lui permet de ne pas sombrer dans la folie, à l'inverse de sa mère, qui n'assume pas ce qu'elle est, et vit avec un homme qui est le descendant direct de celui qui a massacré le village de Inunaki.


Le film est aussi un mélodrame qui parle des origines cachées, de la haine du passé que l'on refuse d'affronter. Une partie du film fait plus penser formellement à un drame qu'à un film de genre. Les émotions sont exacerbées, les rapports humains complexes et empreints de violence.
La séquence de l’enterrement est assez surprenante. Toute la famille de la défunte entoure son cercueil ouvert et le remplit de fleurs. Il y a une proximité avec leur chagrin, une douleur assez grande qui émane de ce moment.


Shimizu démarre avec les moyens de tournage d'un found footage. Puis il passe à sa mise en scène à lui, qui renvoie au cinéma plus traditionnel jusqu'à utiliser des images super-8. La caméra qu'utilisait le couple au débur du film devient un élément de jeu dans le reste du film. Elle ne sert plus à filmer, elle est manipulée par les personnages. Kota l'oublie avant de rentrer dans le tunnel. La carte SD est caché dans la maquette. Kanata la retrouve et visionne les images. On ne les voit que sur l'écran de l'ordinateur (elles gardent toujours le statut d'images vues par un personnage) et rapidement elle arrête de les regarder. Elles ne servent littéralement à rien. De ce point de vue là, Shimizu se moque vraiment du genre found-footage. Ce qui est assez amusant que la légende d'Inunaki est une légende urbaine propagée sur internet, donc le matériau idéal pour faire un film de ce type. Shimizu part de ça pour tordre le cou à ce qu'on aurait attendu de lui et proposer un film tourné vers le passé du cinéma fantastique.
Ce qu'on voit notamment avec la femme chien de la fin du film qui fait penser à certains monstres du cinéma japonais des années 60, y compris dans sa gestuelle. Shimizu réalise son film en ayant en tête ses prédécesseurs ainsi que ses propres films antérieurs. Il fait mêle dans son film différents niveaux de représentations et de moments de l'histoire du cinéma d'horreur.
Il fait coexister passé et présent. L'appel à regarder, plusieurs fois répété n'est pas seulement un appel au personnage à regarder son passé, à s'y confronter, c'est aussi une déclaration du réalisateur : il faut regarder aussi vers le passé pour créer et exister au présent. Shimizu nous dit que pour faire un cinéma vivant il faut se confronter au passé, et regarder en face ce que l'on a fait et ce qui s'est fait.
Le discours sur le cinéma rejoint le discours sur la vie.

Steph_Duc_40
7
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le 12 janv. 2021

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