Les affranchis faisait partie de ces films dont j'ai beaucoup entendu parler, vénéré par certaines personnes, mais que je n'avais toujours pas vu.
Le film n'est pas mauvais du tout. Il est même extrêmement brillant, très cohérent dans sa structure, l'évolution de son rythme. Il est plein de tours de forces, de plans séquences magistraux.
Pourtant Le film m'a donné l'impression d'un gros soufflé qui retombe très rapidement.
Je comprends bien que le film est sensé être du point de vue de Henry Hill qui est fasciné par la pègre depuis son enfance. Il n'a aucune distance critique, aucun point de vue sur ce monde, il veut seulement en faire partie.
Le film fonce donc tête baissée à ses côtés, rend compte de l'euphorie qui accompagne sa progression dans le milieu.
Scorsese n'est évidemment pas dupe, il multiplie les séquences dans des restos avec des spectacles, des concerts pour faire ressortir la facticité de ce monde, en multipliant les sur-cadrages, les reflets dans des miroirs. Il insiste sur le fait que les personnages sont vulgaires et stupides.
Puis vient la déchéance du personnage, annoncée par cette séquence nocturne où il déterre un cadavre, le tout baigné dans une lumière rouge sang. Elle fonctionne très bien pour faire comprendre qu'il ne pourra jamais aller aussi loin que les autres, au niveau de la folie et de la violence. Et en même temps c'est lourd et sur-signifiant.
On trouve la même chose vers la fin du film. Henry et Jimmy se retrouvent dans un restaurant. Leurs rapports ne sont plus au beau fixe et Henry va choisir de trahir le milieu après cette rencontre. On comprend très bien que leurs rapports sont tendus, que Henry sait que Jimmy veut l'éliminer. La voix off suffit largement à nous le faire comprendre, ainsi que le jeu des acteurs. Pourtant Scorsese a besoin de faire un travelling arrière sur les deux personnages en trans-trav, ce qui déforme donc les perspectives. Pourquoi doit-il surligner ce que l'on sait déjà ?
Je pense que c'est de point de vue-là que le film m'a le plus gêné. Soit les choses sont surlignées, par la lumière, la voix off, la musique sirupeuse lourdement ironique, soit j'ai l'impression que Scorsese perd tout point de vue sur ce qu'il filme.
En voyant le film j'ai repensé au Traître de Marco Bellocchio, autre film dont le personnage principal finit par trahir la mafia et témoigner contre elle. Je ne l'avais pas particulièrement aimé mais je trouve que contrairement aux Affranchis, il y avait une vraie réflexion sur le pouvoir dans l'organisation, comment elle fonctionne, trahit tout le monde.
Le personnage principal justifiait sa trahison par le fait que lui était un vrai mafioso, alors que les autres avaient trahi les idéaux de Cosa Nostra. Mais cela n'était pas donné pour argent comptant, on sentait bien que Bellocchio n'était pas dupe de ce discours, que c'était une façon pour le personnage de se mettre en scène, de se donner un rôle à défendre. Dans les Affranchis, Ray Liotta (qui est excellent par ailleurs) ne se donne pas de rôle actif, du moins on nous le fait croire. On a l'impression que témoigner lui est tombé dessus parce qu'il ne pouvait pas faire autrement. Et comme le film me donne l'impression de beaucoup épouser son point de vue, il devient une autojustification du personnage.
Au final je me demande si le film ne parle pas plus d'addiction que d'autre chose.
Toute la première partie montre toute la jouissance du personnage, l'ivresse qu'il ressent, sans jamais nommer la drogue (qui est associée ou à pour synonymes ou métonymies dans le film argent, nourriture, sexe). Puis on la voit à l'image, il commence à consommer de la cocaïne, en prend de plus en plus pour arriver à retrouver l'ivresse des débuts. Le film change sensiblement de rythme à partir de ce moment. Il est moins uniformément rapide, plus chaotique. Et cela jusqu'à la chute finale où l'on voit qu'il n'est plus qu'un simple toxicomane qui essaie de faire tourner son business comme il peut.
Ce qui est également gênant. Pourquoi couvrir une période de près de vingt ans de l'histoire des États-Unis pour seulement parler de l'ascension et la déchéance d'un toxicomane ?
Quitte à revoir un film d'un réalisateur de la même génération qui se déroule aussi dans le monde de la pègre et réalisé au début des années 90, Carlito's way était beaucoup plus intéressant