Vilipendé par une horde de cathos intégristes pour avoir osé mettre en images sa vision du Christ, Martin Scorsese se retrousse les manches, délaisse momentanément les sujets controversés (encore que...) et va, en cette sainte année 1990 (bah oui, l'année de naissance de mon petit frère), rappeler au monde qui est le patron, celui qu'on emmerde pas tellement il a des attributs royaux aussi énormes que le Carlos de Big Bisou.
Fasciné par le bouquin du journaliste Nicholas Pileggi, Wiseguy, qu'il a découvert lors du tournage de The Color of Money, le cinéaste va enfanter son oeuvre la plus culte à ce jour, la plus populaire, un rollercoaster filant à cent à l'heure pour ne jamais ralentir, un uppercut aussi bien formel, stylistique et narratif qui deviendra, un peu malgré lui, le porte-étendard de la "touche Scorsese", influençant au passage tout un pan du septième art, de la télévision ou même du jeu vidéo.
Narré en premier lieu par le biais du regard émerveillé d'un Henry Hill ayant toujours rêvé d'être un gangster et incarné par un Ray Liotta qui ne retrouvera jamais pareille aura, The Goodfellas semble dans un premier temps faire du pied à l'inévitable Godfather, renouer avec le clinquant, le glamour, subjugué qu'est le personnage par l'argent facile et par la classe ultime de ces pères et grands frères d'adoption.
Survitaminé, maniant l'humour noir avec dextérité et magnifiant la violence sans jamais en faire l'apologie, The Goodfellas, de pur film cool à la gloire de ces nouveaux patrons, va petit à petit assombrir son tableaux jusque-là pratiquement idyllique, le point de vue extérieur de Karen Hill (fantastique Lorraine Bracco) apportant une dimension nouvelle au récit. Au fur et à mesure que le joli petit monde de Henry Hill va se fissurer, c'est le point de vue du spectateur qui va changer, ou du moins se nuancer.
La violence si stylisée va de plus en plus questionner, mettre clairement mal à l'aise, et les copains d'hier, bienveillants et si drôles, vont dévoiler leur véritable visage, celui de "simples" entrepreneurs prêt à tuer leur propre mère pour que le business tourne. Sans jamais juger ni adouber qui que ce soit, Scorsese démystifie le mythe qu'il semblait vouloir entretenir, dévoile toute la brutalité d'un monde qui restera à jamais inconnu et fantasmé pour la majorité d'entre nous.
Pince-sans-rire et d'une lucidité fracassante, The Goodfellas réussi le tour de force d'être à la fois une oeuvre speed, formellement aboutie et tonique, jouissant d'une interprétation impeccable (immenses De Niro, Pesci et Sorvino) et d'une mise en scène puissante (sans oublier le travail incroyable de James Kwei et Thelma Schoonmaker au montage), mais aussi un tableau peu reluisant de l'Amérique et de ses sanglantes fondations, se posant comme le parfait héritier du crépusculaire Once Upon a Time in America de Sergio Leone.