Nelson Mandela est entre la vie et la mort, mais il restera dans nos mémoires : les grands hommes ne meurent jamais.

Invictus est un hommage qu’a voulu lui rendre Clint Eastwood en 2010 en évoquant la volonté de Mandela d’utiliser la Coupe du monde de rugby organisée par le pays en 1995, quatre ans après la fin de l’apartheid, comme un tremplin vers la réconciliation qu’il appelait de ses vœux. C’est un choix, discutable assurément, mais qui fait davantage entrer Mandela dans la légende.

Disons-le d’emblée, ce n’est pas un film sur le rugby, même si ce sport occupe une place importante dans le film, parce que ce n’est qu’un outil, pour Mandela comme pour Eastwood. Là n’est pas l’essentiel. Et disons-le aussi tout net, si vous êtes amateur de rugby, ne voyez pas ce film comme une friandise, car vous seriez déçus, les erreurs et incohérences étant innombrables, comme ce plan où tous les joueurs se trouvent à gauche du terrain, sans un seul joueur dans la moitié droite, ni en attaque ni en défense, un peu comme quand on voit des petits jouer au foot dans la cour de l’école, où tous suivent en groupe le ballon… Il n’est pas décent d’en dire plus sur ce point, c’est assez lamentable. Là n’était pas l’essentiel pour notre réalisateur américain.

Non, il s’agissait avant tout de nous proposer une espèce de conte de fées moderne. Je ne dis pas cela pour dénigrer Mandela ou amoindrir la portée de ces actes. Certainement pas. Mais simplement pour signifier qu’Invictus est peut-être excessivement hagiographique dans sa construction. Clint Eastwood nous manipule, et en même temps, c’est un grand principe du cinéma, mais ses excès nuisent un peu à la crédibilité de l’ensemble : l’histoire est trop belle, de nombreux détails ont été arrangés pour rendre cet épisode exemplaire et l’attitude de Mandela édifiante.

Le film a malgré tout le grand mérite de mettre en relief la personnalité et les choix extraordinaires de l’humaniste et du fin tacticien qu’était Mandela. Clint Eastwood centre son propos sur un moment clef et l’attitude magnanime et généreuse de Mandela ; il veut montrer le rôle de l’individu et le poids des valeurs. On voit bien dans le film l’espoir et la crainte suscités par Mandela, l’espoir du peuple noir, sa volonté parfois trop pressante de revanche, et en même la peur des blancs du retour de bâton : il est toujours difficile de perdre des privilèges, de voir ceux que l’on craint ou que l’on considère comme des ennemis ou des êtres inférieurs et mauvais prendre le pouvoir, et se livrer à des vengeances. Invictus montre bien la volonté de Mandela de dépasser tout cela, de prendre de la hauteur et de refuser la purge attendue par certains de ses partisans, et le choix de la pédagogie de l’exemple afin de diminuer les risques de guerre civile et de parvenir à terme à construire une réelle nation arc-en-ciel.

Il faut d’ailleurs noter ici un excellent choix scénaristique, celui de s’intéresser aux gardes du corps de Mandela qui contraint des agents noirs à travailler avec les hommes des services de sécurité de l’apartheid (donc blancs) : au départ, ils se regardent en chien de faïence puis apprennent à travailler ensemble voire à s’apprécier, les blancs initiant même les noirs au rugby…. C’est un peu caricatural, mais ce choix permet de bien montrer les tensions, et en même temps la volonté d’apaisement et de réconciliation portée par Mandela.

Le film évoque par moments le passé de Mandela, la visite des Boks à Robben Island est émouvante, et on est d’autant plus sensible à tout cela que Morgan Freeman fait plus qu’incarner admirablement Mandela, il est Madiba.

On est heureux de suivre la victoire des Springboks, qui n’étaient pas aussi nuls que présentés dans le film un an avant le grand événement et qui ont bénéficié d’une erreur d’arbitrage contre les Français et d’une intoxication alimentaire suspecte des Néo-Zélandais non évoquées dans le film. On apprécie de voir ces blancs et ces noirs qui communient un moment dans la victoire, on est heureux de voir Mandela tendre la coupe à François Pienaar avec sur le dos le maillot des Boks. Des symboles très émouvants.

C’est une très belle histoire qu’il convient toutefois de relativiser, un grand moment sur le plan du symbole comme la victoire des blacks-blancs-beurs en 1998 mais sans réelle portée, une sorte d’illusion. Car cette victoire sportive, fêtée par la plupart des sud-africains, n’a pas suffi pour parvenir à la réconciliation. Ne nous leurrons pas : si la figure de Mandela mérite d’être mise en avant, si son combat et sa victoire sont magnifiques, l’Afrique du Sud d’aujourd’hui va encore très mal, Mandela n’a jamais remis en cause l’ordre économique dominé par les blancs, la République sud-africaine restant un pays marqué par les tensions et la peur, un des pays les plus inégalitaires et violents au monde où les blancs détiennent toujours l’essentiel du pouvoir économique.

Bref, une très belle histoire, un bel hommage rendu à Mandela, mais aussi un écran de fumée qui masque une réalité un peu moins rose.

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le 29 juin 2013

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socrate

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