Sans doute que j'en attendais beaucoup de la part de Rahul Jain après son incroyable "Machines", parfaitement calibré sur le fond et la forme, dans les entrailles d'une usine textile indienne avec son lot d'images incroyables. Rétrospectivement, on pourrait y déceler ce qui fait la faiblesse de "Invisible Demons", en se remémorant la séquence impliquant les gérants, dont la mise en scène n'était pas aussi percutante que les plans silencieux. Ici, dans son documentaire consacré à la pollution, cette composante-là prend malheureusement beaucoup plus d'ampleur avec des considérations plus personnelles, pas forcément incohérentes ou inutiles, mais qui en tous cas brisent le côté parfaitement huilé du reste.
Le doc interpelle, en tant que second film de Rahul Jain, par le recours à la voix off essentiellement au début et à la fin, avec une certaine lourdeur emphatique qui n'était pas vraiment nécessaire étant donnée l'ampleur du sujet. J'ai aussi trouvé que devant l'immensité du sujet des territoires, il n'est pas parvenu à réaliser une bonne synthèse et ses entretiens avec des personnes rencontrées dans la rue paraissent décharnées, sans dimension constructives les uns avec les autres. Quelques passages un peu trop faciles aussi dans l'appel à l'émotion, avec des enfants qui parlent de leurs problèmes pour respirer et les gens qui soufflent péniblement dans une machine à l'hôpital pour évaluer la santé de leurs poumons. Il y a des témoignages qui paraissent un peu trop aléatoires, à la différence de ceux de "Machines", relatifs à un cadre beaucoup plus précis. Pas trop fan de l'intégration des pérégrinations de la journaliste ou du recours un peu trop fréquent aux plans de drone.
Pour le reste Rahul Jain n'a pas perdu son regard acéré de photographe et prolonge l'exercice de son talent en faisant de la ville un espace digne d'un film de science-fiction post-apocalyptique. Avec ses nuages constants, ses fleuves partagés entre le noir de la saleté et le blanc des détergents, son petit ilot de forêt restante entouré par des autoroutes, ses vaches qui errent dans des champs de plastique en mangeant des sacs, et surtout ce dernier plan en travelling arrière depuis une décharge démentielle... "What would a world without development look like?"