Blind fate
Adapté à de multiples reprises, le motif de l’homme invisible est un fantasme à double tranchant, sur lequel Verhoeven lui-même s’est cassé les dents : l’occasion d’un exercice de style presque...
le 22 sept. 2020
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Aujourd'hui, les films d'horreurs pullulent dans nos salles et semblent être autant gage de qualité qu'un autre produit commercial destiné à faire de l'argent à partir d'images gore et de jumpscares apeurant les adolescents pré-puber. Pour ce deuxième cas, il serait temps de se re-concentrer sur l'oeuvre en elle-même et sur son auteur. Il faut faire plus que faire peur. Invisible man rejoint donc pour moi la modeste liste des récents long-métrages d'horreurs à la fois intelligents, qui veulent dire quelque chose et qui me font frissonner (Get Out, L'Orphelinat, Conjuring, It premier du nom). On décrypte le pourquoi du comment ensemble !
La plus grande force de Invisible Man commence par son scénario. En effet, plus que de faire un banal film de monstre sanglant, le réalisateur décide de coupler l'horreur à un autre genre tout aussi effrayant, le thriller psychologique. Il ne s'arrête pas là puisqu'il enrichit son récit en livrant une métaphore du danger invisible dans la peur qu'éprouve Cecilia pour son compagnon violent et harceleur. L'histoire s'oriente vers une manière prenante et incroyablement juste de montrer l'obsession tout en traitant du mal-être et des violences conjugales, sujet dans l'air du temps. Toute la première partie du long-métrage en ressort quasi-parfaite puisque le spectateur arrive à douter en permanence sur la folie de Cecilia et sur la potentielle non-existence de l'homme invisible. C'est néanmoins dommage que la réponse soit accordée trop rapidement, diminuant grandement un enjeu important de l'histoire. Toutefois, l'intelligence du scénario se retrouve dans certains petits éléments comme des objets et aux détours de discussions anodines. En effet, rien n'est dû au hasard, le réalisateur utilise beaucoup de préparations paiements (bombe à poivre, extincteur, tenue), certes identifiables, qui n'en restent pas moins complètement efficaces et jouissives, prouvant dans le même temps que tout y est réfléchi.
Mais plus important encore, Invisible Man interroge la notion même de présence dans le cinéma. Comment peut-on faire pour faire peur avec de l'invisible, comment le rendre visible? Comme arrivait à le faire Quentin Dupieux avec un gilet en daim dans Le Daim, Leigh Whannell suggère une présence/personnage rien qu'avec le cadrage et les mouvements de caméras, créant une tension et de la peur chez le spectateur à partir de...rien. Cette suggestion d'un corps ne suffit toutefois pas pour faire frissonner, la musique accompagne constamment le suspens avec des mélodies souvent dissonantes tonitruantes, sorte de cacophonie sonore rappelant les vieux films de série B qui utilisaient ce procédé (Le cauchemar de Dracula). La mise en scène épouse totalement la question de point de vue (même d'un homme invisible) et provoque de l'angoisse avec des procédés comme la vue subjective, les longs et lents travellings et les cadrages fixes. Le danger peut à tout moment survenir du hors-champ (1917, filmé en plan-séquence, se servait beaucoup de ce sentiment d'imprévisibilité) mais Invisible Man va encore plus loin en rendant le champ (ce que filme la caméra) tout aussi dangereux, saisissant parfaitement tout le potentiel de l'homme invisible. La notion de la figure effacée est omniprésente et exploitée, rappelant tout le travail de Lyotard sur la question du Figural (que je vous invite d'ailleurs à lire). Cette défiguration de l'image rend certaines séquences beaucoup plus puissantes et angoissantes que ce que l'on a l'habitude de voir.
Enfin, le long-métrage possède un rythme dynamique vraiment bien géré malgré ce sentiment de "compartiment des intrigues" qui alourdissent le récit lorsque le personnage change drastiquement d'environnement. Le film débute d'ailleurs par une séquence saisissante et viscérale qui impressionne, jouant sur le silence et sur une direction artistique au petits oignons. Je trouve que l'on retrouve réellement un suspens Hitchcockien dans Invisible man, sachant exactement comment insuffler énormément d'enjeux dans ses séquences. Il possède ce timing parfait pour les rebondissements qui, même s'ils peuvent être prévisibles, ne sont jamais attendus sur le moment. Cette précision de quand dévoiler les choses est redoutable et témoigne d'un minutieux sens du rythme qui permet de doubler la puissance des révélations/surprises. Toutefois, quelques petits défauts viennent affaiblir le film comme le fait que la relation nocive entre Cecilia et son ex-compagnon ne soit jamais développée au début de l'histoire, se dispensant donc d'un antagoniste vraiment complexe et passionnant, le confinant à une silhouette dite manipulatrice; ou encore cette troisième partie du récit beaucoup moins fluide et réussie, reposant sur tout ce qui a été installé auparavant.
Ainsi, j'aimerais terminer cette critique en mettant à l'honneur l'incroyable et hypnotique actrice qu'est Elisabeth Moss, qui prouve qu'elle peut être effrayante que l'homme invisible et en même temps tellement touchante. Elle incarne une femme forte, un personnage féminin qui s'impose sans être invincible et insensible. Elle devrait montrer l'exemple afin que les messages féministes soient correctement et intelligemment traités au cinéma, qu'ils ne soit plus complètement forcés. Je conseille donc Invisible Man pour son intelligent récit et par son originale et trop rare façon de faire peur (une peur réelle et à la fois immatérielle), me procurant un peu la même expérience spectatorielle que le film Liaison Fatale... et c'est un beau compliment !
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films d'horreur et Les meilleurs films de 2020
Créée
le 29 févr. 2020
Critique lue 279 fois
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