--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au vingt-neuvième épisode de la sixième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :


https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163


Et si tu préfère juste le sommaire de la saison en cours, il est là :


https://www.senscritique.com/liste/The_Invisibles/2413896


Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---


Et donc le mois-homme-invisible en était resté là. Sur une vague déception face à la tant attendue saga Harry Potter, saga pour laquelle je garde une certaine tendresse, envers son univers, envers ses personnages, envers certains de ses premiers volets, mais certainement pas, ni pour son doublé littéraire final, ni pour son adaptation en triptyque sur grand écran. De mois-homme-invisible, nous n'en avions plus gardé que le nom, tant notre « homme invisible » s'était dissimulé sous divers capes, et tant notre « mois » était devenu année. Je pensais en avoir posé le point final, finalement, quelques un an et demi plus tard. C’était déjà bien assez, pensais-je. Et puis l'homme invisible, le vrai, était mort. Mais l'était-il vraiment ? La question me gambadait dans la tête depuis quelques jours. Moi qui m'était tant plaint de ne pas avoir cru à la mort de Sirius Black puisqu'on ne m'avait point montré de corps, il était plutôt paradoxal que j'accepte si facilement de ne pas poser mes yeux sur le corps sans vie de l'homme-invisible. Sans vouloir faire de méta subtile, je me convainquais que la fiction et la réalité était deux choses bien distinctes. Qu'Harry ne puisse voir le corps mort de son parrain dans un roman était une chose, que j'accepte l'ultime requête d'un pauvre hère reclus que j'étais venu sauver et qui n'a rien pu faire d'autre que de choisir le suicide, en était une autre. Bref, qu'il était mort, pour de bon, comme le simple mortel qu'il avait toujours été, voilà.

Pourtant, sans vraiment y penser, je suis allée chercher dans le tiroir dans lequel je l'avais enfermé, le petit parchemin qu'il m'avait remis ce soir là, et que je n'avais jamais osé déplier. Je m'étais effrayée toute seule, en me disant que si je l'ouvrais, rien ne m'empêcherait plus d'assouvir ma curiosité et mon désir de pouvoir, et qu'au regard de l’épouvante qui s'était dessinée sur les traits de Sirius lorsqu'il l'avait parcourue, j'étais à peu près certaine que l'ingrédient principal de cette recette n'était pas la farine. J'avais commis bien assez d'horreur comme ça dans mon éternité, et je n'avais pas réellement besoin de l'invisibilité. Tant que je ne dépliait pas le papier, j'étais capable de m'en convaincre. Je m'occupais pourtant les mains sans m'en rendre compte, à plier, déplier, rouler et dérouler le parchemin en tous sens pendant que je regardais L'Homme Invisible. Sans jamais pourtant baisser suffisamment les yeux sur mon ouvrage suffisamment longtemps pour le lire. Car voilà une chose curieuse : le film m'a happée. Curieuse, car absolument aucun curseur ne pointait dans la direction du bon film. Si je l'avais jugé comme une étape indispensable et une ligne d'arrivée parfaite quand j'avais dressé pour la première fois la liste des films élus à figurer au mois-monstre spécial homme invisible, je n'avais fait que revoir mon jugement à la baisse à mesure que le cycle s'éternisait. Jamais, à aucune occasion et dans aucune circonstance l'homme invisible n'avait réussi à faire peur au cinéma. Les réalisateurs, même les plus grands, se sont abîmés à essayer pourtant, sans succès. Alors, qu'un réalisateur plutôt inconnu débarque en 2020 pour déterrer ce vieux marronnier, je ne croyais pas une seconde à son succès.


Alors. Je n'irai pas jusqu'à dire que Leigh Whannell parvient à faire peur avec l'homme invisible. Certes mon imperméabilité à la peur de plus en plus avéré n'aide pas le garçon. Je pense cependant sincèrement que Whannell parvient à toucher quelque chose du bout du doigt. Car le film, durant toute sa première heure, est parvenu à me maintenir complètement magnétisée à mon écran, à la fois aussi paranoïaque que son héroïne, et génialement active dans le processus filmique, faisant tourner de concert mon imagination et mon jugement à plein régime, afin de garder prise dans l'histoire, de démêler le vrai du faux, de tirer mes conclusions, d’apprécier le jeu tordu d'un pervers à la finesse rarement égalée au cinéma, bref, j'ai apprécié pleinement un métrage de qualité remarquable... Avant de me rendre compte qu'en fait, il avait pas fait exprès d'être bien ce film. Car l'homme invisible était, pour la première fois, terrifiant, et le restait tant qu'il pouvait n'exister que dans l'esprit du personnage principal. Whannell avait, sans le faire exprès donc, enfin trouvé la recette : l'homme invisible, l'effrayant, ce n'est pas celui qui se grime de bandelette et d'un faux nez, pas non plus celui qui se fabrique un masque en bubble-gum, c'est celui qui pousse l'invisibilité jusqu'à ne plus exister ailleurs que dans les cauchemars éveillés d'un esprit qu'il aura détraqué au préalable. Je crois que c'est à ce moment là que j'ai fait, de frustration, la première déchirure au petit parchemin que je triturais nerveusement depuis une heure. Quel dommage, mais quel dommage ! Tout concordait à un film sur la paranoïa des plus réussi. De ces choix d'axe de caméra plus que curieux, insistant parallèlement sur le double fait d'une part qu'il n'y a effectivement personne dans le champ, et d'autre part que le personnage est parfaitement convaincu que quelqu'un s'y trouve, qu'elle l'y voit presque tant sa folie déborde de sa psyché pour aller dégouliner sur ses sens, puis par découlement sur la caméra elle-même ; à la manière froide qu'à le scénario de nous détailler chacune des étapes conduisant le personnage à détruire méthodiquement sa propre vie afin de s'enfoncer dans la psychose qu'elle choisi d'accueillir pour ne plus avoir à lutter contre le traumatisme infligé par cette relation amoureuse toxique, et céder à la domination psychologique de cet homme, même après sa mort. Pensait-on. Pensait-on pendant toute la durée pendant laquelle le film a été bien. Enfin. Je ne dirais pas non plus que le film bascule dans le pas bien. On s'oriente, à partir du virage doux où le doute n'est plus possible quant à l'existence ou non d'un personnage invisible, et où donc, en prenant forme, l'homme invisible cesse d'être réellement effroyable, vers un film d'action plutôt bien dosé, avec ses bastons plutôt bien chorégraphiées (on a encore du mal cependant, comme déjà Secundo de Chomon lorsque le premier il avait mis en scène l'homme invisible, à rendre crédibles les duels contre l'antagoniste transparent. Comme quoi certaines choses ne changent jamais), sa photographie et son montage élégants, son rythme plutôt bien dosé, ses effets spéciaux, bien que parcimonieux, respectablement propres. Je n'aurai, en fait, rien eu contre cette deuxième partie de métrage si elle n'avait pas été construite sur le cadavre encore fumant d'un film qui aurait pu être un chef d’œuvre, et qui s'en sort finalement avec un simple « c'est pas mal ».


Coté invisibilité, je relève avec amusement l'évolution technique de la cape d'invisibilité, ou peut-être sa scientifisation, qui aurait sûrement plu à H. G. Wells. Cependant, ici notre héro n'est pas un chimiste, mais un opticien, et un léger frisson me remonte l'échine en songeant que peut-être d'autres moyens, tout aussi différents qu'efficaces, permettent d'accéder à l'invisibilité. J'ai les mains couvertes d'encre. Cette deuxième partie, bien qu'extraordinairement frustrante, a malgré tout tenu son rythme haletant, et je n'ai, pas plus que pendant la première partie, songé à baisser les yeux sur le parchemin. Maintenant que le générique défile, je suis autorisée à reprendre possession de mon regard, et de mon flux de pensées. Tout en constatant distraitement que ces deux heures en apnée m'ont fait rendre illisible la précieuse recette, je songe surtout avec inquiétude à ce souvenir qui vient d'éclore dans mon esprit. Alors que je racontais à l'homme invisible, pour tenter de l’apprivoiser, le parcours filmique que je lui dédiais, celui-ci me demandait où j'en étais rendue de la chronologie. Alors que je lui évoquait ma récente et désapointante découverte de la fin des aventures de Harry le sorcier, il m'avait répondu « vous n'avez donc pas fini... ». J'avais fait non de la tête, et j'avais perçu un souffle amusé provenant de sa personne. J'avais rangé le souvenir là d'où il ne devait pas ressortir, puisque j'avais interprété l'amusement de mon interlocuteur comme un relevé d'une situation ironique, alors que j'avais retrouvé l'homme invisible dans le monde réel avant d'avoir fini de le chercher dans le monde virtuel. Maintenant, une autre interprétation à ce soupir était envisageable. Pensait-il à ce film ? Avait-il un sens pour lui ? Y avait-il pris part, ou l'avait-il inspiré ? Et dans ce cas, avait-il lui aussi mis en scène sa mort ? A quelle fin ? Que voulait-il de moi s'il me donnait sa recette ? Je baissais à nouveau les yeux vers le parchemin, ressemblant désormais plus à une vieille guenille qu'à un précieux document. Il n'y avait plus grand chose à en tirer désormais, quelles qu'aient pu être mes intentions. J'essayais d'apaiser les battement de mon cœur en me convainquant que j'étais, comme le personnage de ce soir, simplement victime de paranoïa. Pourtant l'évocation de ce film avait amusé l'homme invisible. Parce que comme lui, il désirait me faire croire à la paranoïa pour cacher ses desseins funestes ? Où bien parce que celui-ci aurait l'effet, constaté en cet instant, de me faire douter de tout, même de la mort qui était censée marquer la fin du cycle, cycle que j'avais ressuscité en regardant un dernier film sur le sujet, sans prétention à l'inclure au mois-monstre, et pourtant incapable de n'en pas écrire la critique ni de le rattacher aux autres, par le fait banal de sortir ce fichu morceau de papier du tiroir ? Et puisque maintenant il faisait de nouveau partie du mois-homme-invisible, l'histoire n'était-elle donc pas terminée ? Je déchirais une bonne fois pour toute le document, pris une grande inspiration, et me forçait à réfléchir froidement. Dans l'éventualité où ce film aurait voulu être un avertissement quant à la mort simulé de ce curieux personnage, je n'aurais au moins pas pu être la victime contre mon gré du mécréant, mes sens de loup étant trop développés pour ne pas le déceler. Je décidais cependant de changer sur le champ, et j'humais chaque recoin de mon appartement, les oreilles pivotant follement dans tous les sens, à la recherche du moindre son suspect. J'activais aussi ma nyctalopie : si j'avais, par pudeur, évité de l'utiliser lors de ma rencontre avec l'homme invisible, je n'avais plus aucun scrupule à découvrir si ma théorie fonctionnait ou non maintenant que je soupçonnait son fantôme de me vouloir du mal. Mais je ne vis rien, ne sentis rien, n'entendis rien. Alors pourquoi mon cœur continuait-il de tambouriner contre mes tempes ? Toujours sous ma forme canine, je bondis par la fenêtre et allais sentir le vent froid contre mon pelage et mon sang chaud courir dans mes muscles. Plus rien ne me retenait ici sinon Sirius. Et rien ne retenait Sirius sinon moi. Le mois-monstre de 2023 avait trouvé sa star il y a peu, elle amusait Sirius, et plus encore l'amusait mon énorme enthousiasme à son égard. Peut-être étais-je un être destiné à fuir éternellement, sans réels poursuivant, sans non plus vraiment d'Eden à atteindre, simplement pour ce bonheur simple, comme en ce moment, de sentir le vent dans mon pelage lorsque je courrais à en perdre haleine. Et alors que mon projet fou, absurde, et complètement démesuré face à la quasi-invraissemblabilité du danger commençait malgré tout à devenir réalité, je m’arrêtais un instant, m'assis dans la plaine obscure, et appelait Sirius d'un long et lugubre chant.





Zalya
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le 19 sept. 2023

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