1969. C'est une date importante aussi bien au niveau des Etats-Unis qu'au niveau mondial. C'est effectivement une période située en plein cœur du mouvement hippie, avec son apogée le 15 août de cette année à travers le festival de Woodstock qui deviendra un symbole mythique de toute une génération en quête de nouveaux repères, une nouvelle génération en révolte contre la société et notamment contre la guerre du Vietnam.
Cette mise en contexte est importante pour comprendre le film, et plus amplement, l'esprit de Kenneth Anger qui adoptera la culture hippie en voyant dans ce courant ce qu'il appelle « l'événement de l'ère du Verseau » auquel il croit et dont il fait référence dans sa majorité de ses films. Il s'agit de l'arivée d'une nouvelle période mettant à bas les religions agonisantes que sont le christianisme et le judaïsme, de permettre l'arrivée d'un homme nouveau. Le mouvement hippie, c'est aussi le LSD, drogue psychédélique par excellence dont Kenneth Anger ne se cache pas d'en avoir pris. Et cela peut expliquer plus facilement le montage complexe du film (images dédoublées, surimpressions diverses, plans subliminaux, couleurs altérés, etc.). Sans omettre bien entendu l'obsédante partition musicale de Mick Jagger qui contribue à l'aspect hallucinatoire du film qui devient par ce point un témoin indéniable de cette époque. A cela on peut rajouter de nombreux éléments tel que les plans d'actualité montrant des soldats descendant d'un hélicoptère renvoyant à la guerre du Vietnam, les plans du public de Woodstock, la performance des Stones à Altamont superposée avec les Hell's Angels, les acteurs eux-même (Beausoleil qui sera par la suite affilié à Charles Manson, Anton LaVey, etc.), etc. C'est ce que Olivier Assayas dit très bien dans son ouvrage Éloge de Kenneth Anger à propos de ce film : « Anger était au cœur de cette conjonction. Il était là, il était au milieu de la spirale, prophète de malheur vivant au centre même de son sujet. ».
Et bien entendu, il y a la dimension occulte, « magick « , totalement indéniable et déjà présente dès le titre. Ce film montre donc un rituel, non pas de manière symbolique comme le réalisateur le faisait déjà lors de ses précédentes œuvres, mais de manière directe, de face, à l'image de ces fabuleux plans en « cinéma-direct » montrant Kenneth Anger en tant que mage et pratiquant un rituel réel lors d'une performance publique près de San Francisco. Ce rituel, c'est l'invocation de Lucifer qui est pour Anger l'ange de lumière censé être au cœur de l'ère du Verseau. Tous les éléments de ce rituel montrent bien l'affiliation du cinéaste avec Aleister Crowley (l'accoutrement du mage, les divers accessoires, le rituel en lui-même, etc.) et toutes ses connaissances dans le milieu de la magie.
Le film, ancré dans son époque, concentre toutes les énergies de cette période pour permettre à ce rituel de s'accomplir. D'apporter au monde cette nouvelle ère que Kenneth Anger a tant prophétisée. Et c'est pour ces raisons, parce que le film a été créé dans une atmosphère particulière dû à l'époque et que le réalisateur y a mis toute son énergie, toute son âme , qui se retrouvent ainsi concentrées au service du cinéma, c'est pour ces raisons que ce film est majeur et pour moi, d'une importance cruciale au sein de la filmographie de Kenneth Anger.