Instants fugaces d'un bonheur encore possible.

Gaspar Noé nous avait laissé en 1999 entre les mains de son boucher incestueux, nous laissant le soin de partager ses pensées et ses obsessions les plus intimes. C'est tout naturellement avec ce même protagoniste qu'il nous entraîne dans les méandres de son nouvel essai, Irréversible. Un enfer nocturne fait de néons écarlates et de recoins putrides, qui risque d'en secouer plus d'un.


Rageur et frôlant le nihilisme, Irréversible est une spirale infernale, un tourbillon sans fin de rage, de violence, de déviance, une tornade détruisant tout sur son passage, à commencer par la raison. Un bref instant dans le temps qui vient annihiler toute idée d'un bonheur possible. L'amour, la paix, l'amitié, la beauté se voient piétiner par la crasse, par l'humain, cet insecte abjecte qui pourri tout ce qu'il croise.


Ne détournant jamais le regard, nous confrontant à l'horreur dans ce qu'elle a de plus pure, de plus réaliste, Irréversible commence par le pire, par l'insoutenable, jusqu'à atteindre son paroxysme lors du passage du tunnel rougeoyant. Puis il s'apaise. Nous réconforte en compagnie des acteurs du drame qui s'est joué sous nos yeux, des gens ordinaires parfaitement incarnés par un trio à l'alchimie évidente. Jusqu'à cette valse finale autour d'un jet d'eau. Mais c'est justement là, dans ces instants de calme, de grâce parfois, qu'il fait le plus mal. Car il nous montre que le bonheur était encore possible. Nous fait espérer, supplier presque, que tout cela n'était qu'un affreux cauchemar.


Loin d'être un simple artifice ou un caprice mégalomane, la mise en scène virevoltante de Gaspar Noé est au contraire d'une cohérence absolue, épousant parfaitement l'état d'esprit des personnages, ces pantins de chair et de sang totalement impuissants face à l'impartialité du destin. Elle se fait tour à tour insaisissable, malade, légère, complice puis apaisée. La photographie granuleuse de Benoît Debie, ainsi qu'un astucieux montage inversé, renforcent la puissance des images et du propos du cinéaste.


Inconfortable et provocante, viscérale et dérangeante, voir suffocante, Irréversible est une expérience sensitive que l'on peut rejeter en bloc, à l'image du cinéma de Gaspar Noé. Mais l'on ne peut enlever au cinéaste controversé le mérite de proposer quelque chose. Etreignant à bras le corps toute l'absurdité et la cruauté du monde, tout autant que son infinie délicatesse, Irréversible est pour moi son oeuvre la plus aboutie à ce jour, un cauchemar éveillé puissant de maîtrise.

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le 2 août 2015

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Gand-Alf

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