Sous la crasse, une gemme...
Facile de s'arrêter au propos abrutissant, aux personnages antipathiques jusqu'au bout.
Difficile de ne pas se sentir souillé par ce film (une amie m'a dit en sortant de la salle "le pire, c'est peut-être que Bellucci est une telle pouffiasse qu'au final tu te dis presque que c'est bien fait pour elle"... no comment).
Difficile aussi de ne pas remarquer que c'est un film de gros connard, simplement monté à l'envers, petit deus ex machina formel qui a finalement occupé une bonne moitié des commentaires de la presse (l'autre moitié traitant de la scène de viol comme si c'était une première au cinéma, sachant que les série B italiennes des années 70 et 80 n'étaient pourtant pas avares de scènes choc et "limites"... A-t-on vraiment oublié l'excellent et novateur Cannibal Holocaust, bordel ?!)
Bref, c'est tellement gros qu'on ne parle que de ça... Et qu'on passe à coté de la substance du film, de sa force.
Comment ne pas être ébranlé par ce road movie en avance rapide, cette fuite en avant vertigineuse animé par un instinct animal, saturé d'odeurs, de crasse.
Noé flatte les instincts les plus bas, et il le fait avec efficacité.
Mais Noé est surtout quelqu'un qui, comme il le démontre ici, maîtrise comme personne la forme, le cinéma en tant que medium, en a compris les arcanes certainement en regardant les films expérimentaux des années 60, Stan Brackhage, Kenneth Anger, Harry Smith, Paul Sharits, entre autres génies de la pellicule.
Il va même jusqu'à citer le Flicker de Tony Conrad dans le final du film, une sorte de stroboscope cinématographique excitant le cerveau à la fréquence alpha (entre 7 et 13 flashs par seconde), film agissant à même la perception, à même le corps du spectateur, procurant hallucinations, vertige, nausée...etc.
L'effet est saisissant, et un emprunt direct à la Dream Machine de Brion Gysin et William S Burroughs.
Et cette folle scène d'ouverture, la dérive d'un Vincent Cassel ivre d'un colère immersive, communicative, perdu dans un dédale sous le matraquage sonore bien inspiré de la moitié de Daft Punk Thomas Bangalter, danger, colère, aveuglement, folie, tout se mêle dans une spirale avalant tout sur son passage.
Irréversible était un cheval de Troie dans les salles obscures, amenant via une distribution trompeuse et séductrice un large public à vivre une expérience des sens jusqu'alors réservée à un public "averti" et confinée aux cercles "élitistes" du cinéma expérimental et des dits sous-genres du cinéma populaire d'une époque tristement révolue, où il se passait quelque chose en dehors des consensus tant formels que moraux.