Rencontre du troisième type… qui répond à la radio

Le deuxième film de Cristóbal Valenzuela est consacré à des passionné.es de radio-transmission et décrypte un des mythes collectifs les plus tenaces d’Amérique du Sud. Dans les années 1980, au Chili, un groupe de passionné.es de radiotransmissions a commencé à communiquer avec des êtres mystérieux qui prétendaient vivre sur “l'île de l'Amitié” et entretenir des relations étroites avec une espèce extraterrestre.


Les années passent et la chance nous est donnée de suivre l’évolution de cinéastes dont les débuts nous ont enthousiasmés. C’est le cas de Cristóbal Valenzuela, dont nous avions pu apprécier l’excellent Robar a Rodin en 2018. Le film suivait un étudiant en histoire de l’art qui profita de l’exposition Rodin, à Santiago du Chili, pour y dérober le “Torse d’Adèle”, et maquiller le vol en démarche artistique une fois rattrapé par la police. Ironie de l’histoire, les médias avaient plus parlé du vol de l’œuvre, que de l’exposition en elle-même. En creux, c’est le rapport des institutions politiques et médiatiques à la culture qui était révélé : celle-ci les intéresse uniquement quand elle peut leur rapporter gros. Partir d’une situation singulière et loufoque pour en tirer une analyse sociale et politique, fondée et argumentée, constitue la signature de Cristóbal Valenzuela. Belote et rebelote, c’est cette mécanique qui est à l’œuvre dans Isla Alien, son deuxième long-métrage.


Le cinéaste chilien s’intéresse ici à des amateurs de radio-transmission, entrés un jour en contact avec des personnes fréquentant la mystérieuse île de l’Amitié (Isla Friendship), au sud de l’île de Chiloé, dans les premières encablures patagones. Cette Isla Friendship aurait vu s’écraser sur son sol un OVNI de taille considérable au milieu des années 1980. Il s’en serait suivi un phénomène de peuplement par une congrégation d’êtres mi-religieux mi-extraterrestres, dotés de pouvoirs surnaturels de guérison. L’île serait également pourvue de gisements de métaux rares. De l’autre côté des ondes radio, pas d’extraterrestre à qui parler, mais un voisin de cette île mystérieuse, un certain Ernesto de la Fuente, qui commença sa carrière comme ingénieur du son (et parfois comme acteur) au cinéma et à la télévision à la fin des années 1960, avant de disparaître des radars au milieu des années 1970, jusqu’aux premiers contacts établis par ce groupe de radioaficionados un jour de 1984. À partir de cette date, le lien unissant le groupe-radio à de la Fuente va devenir un lien d’amitié.


Comment expliquer la fascination pérenne, encore de nos jours, autour de cette île et de sa très hypothétique population extraterrestre ? Comment expliquer le “silence-radio” d’Ernesto de la Fuente entre 1974 et 1984 ? Sur lui, nous n’en dirons pas plus à ce stade-là de votre lecture. Pour ce qui est de la première interrogation, Cristóbal Valenzuela montre, avec tact et par petites touches, que ce qui compte au Chili n’est pas la connaissance empirique de la Isla Friendship et de ses habitants, mais bien la légende construite autour d’elle et sa capacité à divertir les spectateur.rices, pour ne pas dire les dévier de sujets plus politiques, à l’époque même où Pinochet briguait un nouveau “mandat” de dictateur, par voie référendaire cette fois-ci. À travers la lorgnette des radio-transmissions, le cinéaste chilien parvient à dresser le portrait bienveillant d’un groupe de fans - voyant dans l’Ile de l’Amitié le moyen parfait de tromper leur quotidien - en même temps qu’il tire le portrait d’une petite société du spectacle où les liens entre croyances, divertissement, anti-science et conservatisme sont aussi étroits que socialement indicibles.


Le choix du noir et blanc permet toutefois de marquer une distance respectueuse à l’égard des personnes interviewées et à l’égard de cette légende urbaine. On saluera par ailleurs la photographie en clairs-obscurs du chef opérateur, Matías Illanes, le choix par le cinéaste de recourir à la reconstitution du propos des destinataires (de la Fuente, Ariel, Alberto…) par des acteurs en studio, et surtout l’inclusion d’extraits de films de science-fiction des années 1950 et 1960. Les plus cinéphiles pourront apprécier les extraits tirés de La Guerre des planètes d’Antonio Margheriti, avec Franco Nero, ou Je suis une légende d’U. Ragona et R. Matheson, avec Vincent Price. Certes, ces choix ont pour fonction principale de donner du liant et du rythme entre les interviews et les images d’archives, mais elles participent à la prise de recul nécessaire du spectateur par rapport aux propos d’Ernesto de la Fuente, en même temps que la prise de recul d’une partie de la bande de radio-transmetteurs à l’égard d’une île que personne n’a vue… mais dont tout le monde parle avec aisance.



Créée

le 27 août 2024

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