Chronique d'une mort annoncée
L’idée-force du film, c’est de ramener son concept horrifique à un exercice théorique et ludique du regard, une préoccupation de pure mise en scène. Dans It follows, la peur, ou du moins, l’attente - ce qui, en soi, revient au même -, est une affaire de profondeur de champ, et la tension, une question d’attention : à quel endroit du cadre, à quel moment du plan, la menace va-t-elle se manifester ? Pour que ce jeu de pistes donne sa pleine mesure, le cinéaste a recours à un code singulier du cinéma de genre, qui emprunte à une conception contemporaine plus japonaise qu’américaine de pratiquer l’horreur : la lenteur. En effet, si l’entité maléfique semble invincible, maître d’un cycle de mort qui se répète de manière immuable, elle est atteinte d’un sérieux handicap : elle ne peut que marcher, pas à pas, implacablement. It follows trouve ainsi sa pleine singularité : ici, pas d’apparitions en jump cut ou à la faveur d’un raccord brutal, comme dans la majorité des productions américaines du genre. Aux questions de départ s’en ajoutent alors une autre, plus insidieuse : combien de temps la menace va-t-elle évoluer, progresser au sein du cadre, avant que les personnages ne la remarquent ? La laisser atteindre le premier plan, c'est mourir.
Si la mise en scène est incontestablement l’atout majeur du film (et ce, en dépit de ses facilités – l’omniprésence de la musique en tête), ses détracteurs n’ont pas manqué de pointer un certain puritanisme à l’œuvre dans les motifs (la malédiction se transmet en effet par relation sexuelle). Seulement, le récit d’It follows est un tel mélange d’influences glanées çà et là (de Tourneur à Carpenter en passant par les slashers des 80’s) que son discours rétrograde – celui-là même de tout un pan du cinéma d’horreur (et surtout de ses avatars les plus contemporains) – s’apparente à la récupération d’un simple code parmi tant d’autres, inhérents au genre. En plus de sa facticité assumée, la frontalité du discours y est poussée tellement loin (au bout d’un quart d’heure, tout est dit, puis martelé par la suite) qu’il ne paraît pas possible de ne pas y voir une certaine forme d’ironie, voire de désintérêt pur et simple de la part du cinéaste. En fait, si conformisme il y a, c’est peut-être davantage dans la promesse d’une acmé, d’un ressort dramatique tant attendu, qui ne viendra pas – à savoir que la « chose » prenne l’apparence d’un proche de l’héroïne. Ici se manifeste un réel souci de l’auteur à ne pas s’extirper d’une certaine mentalité bien-pensante, en n’osant pas aller au bout de son idée (la famille est, et restera, le lieu de l’indéfectible unité). Passé ce détail dommageable, It follows reste l’illustration parfois maladroite mais souvent convaincante d’un cinéma de genre encore susceptible de surprendre. Par-delà les influences, David Robert Mitchell creuse son propre sillon, impose sa patte, dans ce film furieusement sensoriel et diablement attachant, qui subsiste en nous telle une émanation insidieuse, toxique.