De l'art de faire de l'horreur un genre contemplatif
Je suis allée voir It Follows le jour de sa sortie, jour même où j'ai vu sa bande annonce. Fan inconditionnelle de l'horreur, de l'épouvante et tout ce qui fait peur, j'étais depuis un certain temps lasse de la traditionnelle recette "possession feat. caméra à l'épaule" que nous ont (sur)vendu les productions de ces deux-trois dernières années. Dans le tas, il y avait bien évidemment les James Wan et le très réussi Mister Babadook qui sortaient du lot, mais de façon générale, l'horreur telle qu'on l'aime s'est affaissée pour laisser place à des réalisations sans saveurs et amèrement commerciales.
C'est pourquoi j'attendais d'It Follows ce qu'il promettait dans la bande-annonce : une revisite esthétique et déconcertante de l'horreur, sans démon dans le grenier ni de film témoin pour tout montrer.
BINGO.
Outre une ouverture étrangement agencée - jeu douteux de la comédienne dont l'issue frôle le ridicule -, les premiers plans sur la protagoniste mettent d'emblée l'accent sur tout ce qui va suivre. It Follows est un bijou qui se contemple. Pourquoi se hâter et risquer de tout gâcher ? David R. Mitchell nous montre une fresque à la lumière douce et aux effets de réels saisissants : une fourmi qu'on laisse dans l'eau de la piscine, un gros plan sur les mains qui chatouillent les fleurs, un autre sur le ciel…
Le secret d'une bonne réalisation réside très souvent dans l'audace qu'a le cinéaste à filmer de (très) près ce qu'il cherche à nous montrer. Malgré quelques maladresses (entre autres certains plans qui auraient bien mérités d'être filmés au steady), le spectateur est rapidement saisi par une esthétique à la Gus van Sant : on filme le réel et on découvre ce qu'il se passe. À plusieurs reprises, la profondeur de champ est très bien exploitée pour amener l'horreur au personnage que suit la plupart du temps le spectateur. Très souvent, l'on retient son souffle avant de faire face à l'inévitable, et l'on se retrouve presque à vouloir prévenir Jay, en pointant du doigt cet autre, cette chose qui "follows" et qui se rapproche de plus en plus.
Car l'horreur n'a ici ni la forme d'une goule ou de quelque démon en quête d'une âme innocente. Ici, c'est une chose, indescriptible, que seule sa cible peut voir. Cette chose prend la forme d'une personne, proche ou inconnue, et elle cherche à vous atteindre. Cachée sous votre lit ? Dans le reflet du miroir ? Derrière la porte d'une pièce dans le noir ? Il n'en est rien. La chose marche. Elle ne court pas, elle marche. Dans la tranquillité la plus absolue. Et dans son regard fixe : la certitude de vous atteindre.
Il y a ici quelque chose de très primaire dans l'horreur qui est brillamment exploitée : la peur de quelqu'un, de quelque chose, qui vous suit sans cesse, qui ne se fatigue jamais, et qui par ce fait peut réussir à vous attraper. L'on repense à tous ces zombies des années 80, qui sont extrêmement lents mais qui finissent toujours par vous avoir. David R. Mitchell reprend ici le même principe : il est tout à fait impossible de se cacher comme il est impossible de s'en débarrasser ; la chose est toujours là. Comme une maladie incurable que l'on nous transmet, puis que l'on donne à quelqu'un d'autre, et qui est plus facile à affronter quand on est deux (you know what I mean ?)
Car le point fort de ce film réside essentiellement dans sa symbolique. Le film n’effraie pas par principe, mais se sert de l’horreur pour raconter, mettre en scène quelque chose d’abstrait et de général. En l’occurrence, il s’agit ici d’un traitement tout particulier de la sexualité d’une jeune femme, plus adolescente mais pas encore tout à fait femme, qui découvre les plaisirs et les dangers du sexe presque malgré elle. En choisissant ce sujet, David R. Mitchell touche ainsi à l’innocence du coeur, mais aussi à la pureté du corps et aux tourments de l’âme. En choisissant ce sujet, il matérialise l’horreur de nombreuses personnes qui n’aura jusqu’alors jamais trouvé sa place dans le genre fantastique.
Globalement, le contexte, le décor et les personnages sont un véritable clin d’oeil aux premières réussites de l’horreur (Freddie, Halloween…) et reprennent ainsi ce qui avait tant fonctionné dans les classiques du genre : une banlieue et des individus de tout ce qu'il y a de plus trivial ; la BO également, a ce côté très vintage et joliment vieillot que l'on trouvait déjà dans Drive il y a quatre ans, et qui participe à cette esthétique du réel, pour en faire un film d'horreur à la fois effrayant ET joli à regarder.
Je sais que ce film sera selon le public détruit par la critique. Si vous avez détesté les procédés de Van Sant ou encore de Von Trier, autant vous mettre en garde : vous serez plongés dans un ennui profond. Cependant, si comme moi vous regardez un film comme on se plaît à contempler une peinture, pour sa délicatesse visuelle et sa composition, vous serez sans aucun doute séduit par son réalisme, sa douceur et surtout la vraisemblance de son horreur primaire et grinçante.